Le Reflet

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Le ciel bleu d'un samedi après-midi de début mai. Une température encore supportable. Les enfants qui jouent à côté de leur ancienne école primaire. Le vent qui souffle légèrement entre les arbres verts et feuillus. Le bruit du portillon rouge, en bas, qui vient troubler l'atmosphère relaxante instaurée par la musique indie-rock qui résonne dans la chambre grise à mi-chemin entre l'enfance et l'adolescence, malgré l'âge de sa propriétaire.

Celle-ci enlève son sweat bleu marine à l'inscription blanche Sunday. Dessous, un autre bleu fait son apparition, plus canard que marine. Il est à manches courtes, un col en V de chaque côté, retenus dans le dos par un bout de tissus formant un noeud et sur le buste par un autre ressemblant à de la dentelle, bleue encore.

Sa main pâle aux veines assez visibles de la même couleur que son haut se glisse dans le tapis rose décoloré par la lumière presque constante du soleil des dernières années. Cela fait longtemps qu'il n'a pas bougé. Peu de choses ont d'ailleurs subi un changement. Une quantité impressionnante de livres rajoutés dans la bibliothèque noire devenue trop petite. Des vêtements de moins en moins bien rangés dans le placard à l'opposé. Des bricoles supplémentaires sur le bureau jamais vraiment en ordre. Quelques choses n'avaient, elles, pas évoluées. Le bac à CD, dont le plus récent date du printemps 2017, quatre ans plus tôt, prend la poussière. Le lit en hauteur, utilisé deux fois moins depuis quelques années déjà ne risque pas de s'abimer. Les portes-vues, classeur et autres chemises au pied gauche du bureau gris attendent une occasion qui ne se présentera jamais. 

Elle se lève et ouvre les portes coulissantes des placards à même les mûrs. Tout apparaît en même temps. Tous les éléments oubliés de son enfance qui lui semble maintenant si lointaine. Quelques barbies et leurs accessoires cohabitent avec la mystery machine ou des petshops. Les époques et les souvenirs se mélangent. La nostalgie prend place dans son coeur et son esprit. C'en devient presque douloureux. Les larmes sont au bord des yeux.

Ses mains poussent la seconde porte. Elles tombent sur cette boîte. Cette longue boîte en plastique transparent remplie des poupées qu'elle préférait, enfant. Ses doigts fébriles attrapent sa favorite d'antan. Elle possédait des cheveux en carré plongeant roux, de délicates tâches de rousseur sur les joues et le nez et des yeux marrons. Elle avait eu le choix et avait essayé une multitude de vêtements à sa taille. Les moments passés avec sa petite sœur à jouer avec ces poupées semblaient si loins. Elles ne prennent désormais plus le temps, prises par les obligations que l'on obtient en grandissant.

Ses pieds s'éloignent du placard, fermant la porte jusqu'à la prochaine fois. Elle tourne la tête. S'affiche alors son visage, à différents âges de sa vie. Elle prend un moment à s'admirer en poussette à quelques mois devant la mer, à huit ans pour l'anniversaire de sa soeur, les trous formés par ses petites dents manquantes laissant apercevoir sa langue rose. Ses yeux se posent sur des versions d'elle-même plus récentes, à onze ans, en train de lire sur sa serviette, l'anniversaire de ses douze ans. Elle ne peut se rappeler de tous ces moments, sa mémoire ne pouvant tout retenir. Les photos sont seulement des catalyseurs de son cerveau, faisant apparaître au besoin ces quelques souvenirs.

Après toutes ces madeleines de Proust, elle finit par arriver devant l'image d'elle-même la plus représentative de son apparence actuelle. Elle regarde avec précision ses yeux marrons, devenus plus clairs par la lumière bien présente de ce soleil de mai. Ses quelques tâches de rousseur réparties assez inéquitablement sur ses joues et son nez semblent plus visibles. Son front est pour l'instant peu abimé par l'acné qui reviendra sous peu. Ses cheveux châtains foncés montrent au monde leur épaisseur naturelle.

Ses lèvres rosés s'étirent en un semblant de sourire et tout change. Ses yeux se plissent et reflètent la grimace qu'exprime sa bouche. Elle lève un sourcil redevint l'inconnu le plus total.

C'est là le propre du reflet. Selon l'angle de vue, il peut paraître motivant et dans les mauvais jours que nous vivons tous, ils ne reflètent que la triste réalité. Ainsi marche le reflet qu'il nous suffit de chercher dans un miroir, différent de celui que l'on peut trouver dans ceux qui nous entourent ou dans ce qu'on a connu ou apprécié. Être capable de tous les voir est sûrement plus utile. C'était tout ce qu'elle voulait pour ce samedi de mai.

FIN

(Écrit le 8/05/2021)

Voilà, c'était une autre nouvelle. J'ai eu un soudain pic d'inspiration. Merci d'avoir lu.
Elisa🥰

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