Confidences

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Normandie, 2015
 "Moi je veux être allumeur d'espoirs comme on allume des réverbères, me confie un monsieur assis sur un banc d'un parc public, et toi ? Qu'est ce qui dans l'imaginaire t'attire ?

Moi ? pensais-je à voix haute. On ne m'avait jamais posé la question.

Tu as l'air délaissé, mon enfant. Viens, assieds toi à mes côtés et confis toi."

Je m'exécutais, tel un robot, en ne pensant plus qu'à sa question qui m'avait déstabilisé. Il ne dit plus mots, attendant que je commence mon récit. Quelques minutes plus tard, je pris la parole :

" A vrai dire, je n'en sais rien. Je n'y ai jamais pensé."

Je m'arrêtais, regardant l'homme qui avait maintenant fermé les yeux et souriait. Je vérifiais quand même s'il respirait encore, puis continuais mon histoire, sans savoir où commencer, ni vraiment que dire :

" Quand j'étais petit, les enfants autour de moi avaient tous un rêve, qu'ils proclamaient sans problème à tous les autres. Moi, j'étais plus réservé, et je n'avais aucun rêve. Aucun. Je réalisais des tâches plus que je ne les appréciaient, je survivais plus que je ne vivais. Aucune pensée ne traversait mon esprit, sauf une phrase, venue de je ne sais où : Pour ne plus souffrir, mieux vaut ne plus rien ressentir. Après ça, j'avais toujours l'impression de vivre dans un mensonge.

" Cette philosophie de vie m'a suivi toute au long de mon existence, sans que personne ne me pose de questions sur mes émotions ; ça m'aurait déstabilisé plus qu'autre chose, selon les médecins. J'avais un environnement heureux, mais ne pouvais pas l'être, ce serait indigne de ma devise.

" Je ne pouvais et ne voulais pas avoir de rêves, à quoi bon ? Il y a forcément quelqu'un qui a pour métier de les éteindre, comme je l'ai vu, dans cette sombre affaire dans le palace, longtemps cachée, avec comme criminel le valet de chambre. Quand j'ai lu cet article, j'ai pensé : " Pourquoi ? Pourquoi détruire des rêves ?" Et c'est tout. Pas plus. Mon cerveau se reprogramma en exécuteur de tâches. Il m'était plus pratique qu'utile.

" Il y avait eu également le suicide de la jeune fille Aurélie Ascher. Et aussi le meurtre de Jack Herkins, tué pour divagation. Et le corps d'une sans-papier, retrouvé sans âme dans son lit un matin. Tous ces gens aux espérances brisées...

" Puis j'avais rêvé.

- Tiens, un rêve, murmura le vieil homme, son sourire s'élargissant.

- Un rêve de nuit. Ce n'est pas la même chose, enfin, je crois. Bref, ces deux rêves déstabilisant qui parlaient tous deux d'un avenir médiocre et proche. Une civilisation où les adolescents sont sacrifiés, une où les gens n'ont aucun droit. Et pourtant, alors que mon esprit se focalisa sur ma devise, pour la première fois de ma vie, mon cœur parla.

" C'était si étrange, de ressentir un amour, une haine quelconque contre quoi que ce soit. Je quittais la ville, seul, maître de mon destin. Je lus des livres, on m'avait appris, mais je ne l'avais jamais vraiment fait. Ressentis. Les livres étaient pour la plupart emplie de clichés qui rejoignait plus ou moins mon parcours : ils partirent et vécurent heureux, ou encore : depuis ce jour, le couple résista à toutes les tempêtes. La seule différence était ma solitude. J'appris l'amour dans les livres, où tout n'était que joie, que resplendissance. 

" Et je la rencontrais. La femme de ma vie. Je ne l'aimais pas, certes, mais elle si, et c'était très bien comme ça. Dans pleins de livres, les relations et mariages ne sont que stratégiques, et cette union m'arrangeait, la fille, du haut de ces treize ans, m'adorait. Elle pouvait tout faire pour moi. Comme par exemple me prêter la précieuse voiture de son père. Je ne savais pas conduire, mais j'appris vite et partis pour me rendre jusqu'ici. Je ne revis jamais la fille. Et je crois que cela valut mieux. Je ne pouvais pas encore aimer.

" Je n'ai plus jamais rêvé. Je ne pensais plus, comme si cette faculté me rejoignait un temps pour repartir un autre . Ma morne vie continua...  jusqu'à ce matin, quand j'y réfléchi un peu. Grâce à vous, je repense… Et d'ailleurs, qui êtes vous ?

- Un vieil homme qui tente de se racheter à cause de ses erreurs passées. J'exerce mon deuxième métier qui sort de l'imagination...

- Quel était le premier ?

J- 'étais valet de chambre dans un grand hôtel. Je triais les rêves. Et je les ai détruits."

Je restais sans voix. L'homme dans le journal…
" Je… je vous reconnais maintenant. Vous avez vieilli… et vous êtes allumeur d'espoir ?

- Oui. Jusqu'à maintenant. Tu étais le dernier sans rêves, la dernière personne qui souffrait de mon erreur passée. J'ai fini ma mission, je peux partir l'esprit tranquille.

- Mais… vous voulez dire que c'est de votre faute si j'avais cette phrase qui me trottait dans la tête ?

- Exactement. "

Étonnamment, je ne ressentais aucune haine. Cette homme dégageait une aura bienveillante, si bienveillante qu'on ne pouvait le détester.

"Une dernière question à laquelle tu ne m'as pas répondu, reprit le vieillard. Que voudrais tu faire comme métier qui sort de l'imaginaire ?

-Pourquoi cela vous importe ? Je ne pourrais jamais en exercer un…

- Ah bon ?

- Oui… Je n'ai pas d'idées, de plus.

' Un métier imaginaire n'est pas forcément extravagant, il sort juste de ta tête."

Un ange passa, je réfléchissait non avec mon cerveau, mais avec mes émotions. Je recherchais dans mes pensées, puisant l'imagination de ma tête. Puis j'eus un déclic. Mon métier n'était pas imaginaire, mais il en refermait. Un métier qui demandera à mon esprit d'inventer, à mon imagination de continuer et à mon coeur de trancher.
" Je voudrais être écrivain."
Le vieil homme hocha la tête, souriant sagement. Puis il se dissolva dans l'air, et je vis des orbes jaunes monter vers le ciel. Toutes sauf une, qui entra dans mon esprit. Je me levais, courut, courut vers je ne sais quoi, vers je ne sais qui. Vers un avenir plus radieux. Ou un avenir plus triste. Mais vers un avenir d'espoir, où il y avait des choses à raconter, à imaginer...
Un avenir où je verrais enfin la vérité.

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⏰ Dernière mise à jour : May 09, 2021 ⏰

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