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Yona Klasgowlovitch monta de son pas dansant sur la scène du petit opéra, la mine sombre. Et alors que la musique emplissait la pièce aux fauteuils vides la petite danseuse eue des doutes. Avait-elle fait le bon choix ? Elle balaya ses pensées d'un revers de main. Oui, elle l'avait fait. Alors libérée de son fardeau elle se laissa emporter par la mélodie, commençant par des sauts de chats puis en étirant ses bras jusqu'aux aux ongles dans une grâce sans mesure, cherchant le frisson et parfois même la douleur. Peut-être la méritait-elle un peu...

Ona Klasgowlovitch ne sentit même pas la douleur de la claque tant son visage était déjà tuméfié par les récents coups. Une main agrippa fermement ses cheveux blonds l'obligeant à se remettre debout. Elle pouvait entendre sa mère pleurer au loin tandis que son petit frère hurlait de douleur. Mais qu'avaient-ils fait pour devoir être châtié de cette façon ?

Yona s'élança sur la longueur de la scène à la force de ses mollets qui la propulsèrent élégamment en un saut. Son jupon blanc virevolta autour de son corps longiligne lui faisant penser à un papillon cherchant à s'envoler sans pour autant y parvenir. Essayait-elle de s'échapper ?

Les hommes la tirèrent par les cheveux avant de l'obliger à s'assoir sur la chaise qu'ils avaient posée au fond de la pièce. Sous la violence sa tête bascula en arrière et heurta violement le mur froid. Une substance chaude et poisseuse dégoulina le long de sa nuque avant de descendre inexorablement jusqu'au bas de son dos. Son œil droit avait tellement enflée suite à sa dernière claque qu'il ne lui permettait plus de bien voir, alors devant elle, elle ne distingua que la forme de sa mère jetée contre le dallage dur et glacé. Un homme identique aux autres s'approcha d'elle et vint lui attacher le haut du corps à la chaise à l'aide de sangles tandis qu'un autre déshabillait sa mère. Et au moment où le hurlement de son petit-frère se mit à résonner dans tout son corps deux coups de feu éclatèrent...

La jeune danseuse sua sous le picotement que ses orteils lui faisaient ressentir. Ses chaussons de bonne qualité pourtant, n'étaient pas les mieux adaptés pour ce genre de figure. Ses bras gantés s'élevèrent au-dessus de sa tête formant un arc de satin blanc parfait. Pourtant dans ce moment sans imperfections l'une de ses boucles d'oreille noire se détacha, glissant sur le sol avec un tintement déséquilibrant, troublant horriblement le paradis qu'avait créé Yona.

Etait-elle toujours en vie ? Oui. Mais sa mère et son frère ? Elle ne répondit pas à cette question silencieuse, préfèrent l'ignorance à la connaissance trop douloureuse. Un cri lui vint aux oreilles. Il semblait danser autour d'elle, la narguer et la consoler en même temps ; la câliner et la violenter en même temps. Son cri ? Un hurlement animal, de détresse, de terreur, proche de la folie. Elle ne voyait plus rien seulement du noir et du blanc qui se scindaient en deux avant de redevenir une substance homogène.

Mais elle pouvait encore sentir. Elle senti les coups de points dans sa mâchoire. Elle senti les mains soulever sa robe. Elle senti les mains s'introduire sous ses vêtements. Elle senti des poids se poser sur son petit corps d'adolescente. Elle senti la douleur tortionnaire dans son bas ventre. Elle senti le sang brulant couler le long de ses jambes. Elle senti sa bouche se déchirer dans un cri qui lui était impossible de sortir. Elle senti les claques recommencer. Et quand les mains lui arrachèrent les sangles de son corps meurtrit, elle le senti encore.

Yona tournoya sur elle-même, à une vitesse folle pendant quelques secondes. Elle vit les fauteuils rouges se briser pour ne devenir qu'une trainée à la couleur sanglante tandis que le parquet de la scène devenait un tourbillon marron qui semblait vouloir l'engloutir en lui jusqu'à la faire disparaitre. Son tutu blanc lui donnait envie de vomir et alors qu'elle se stoppait et qu'elle se remettait à danser enchainant pointes et sauts une lueur s'alluma dans ses yeux, tel une luciole dans la nuit. Qui était-elle dorénavant ?

Les grandes mains froides et rugueuses la soulevèrent par les épaules avant de la jeter contre un autre mur de la pièce. Encore combien de temps avant qu'ils ne la tuent ? Seul un bruit sourd, lui répondit. Elle senti peu à peu sa lucidité l'abandonner, ses forces la quitter définitivement et ses yeux se fermer contre sa volonté. La dernière chose qu'elle vit fut la couleur rouge qui gouttait sur le dallage gris. Sa couleur préférée.

Une porte s'ouvrit dans un grincement affreux stoppant immédiatement Yona dans sa danse effrénée contre Tchaïkovski. Un homme habillé tout de noir s'avança tranquillement dans les allées remplies de sièges, prenant tout son temps afin de se délecter de voir le visage de la petite danseuse se détruire. Pourtant c'était cinquante pour cent de son plein gré.

-C'est fait. 

nos danses meurtrièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant