Sa main effleurait inlassablement les herbes les plus hautes tandis qu'elle courait joyeusement vers une destination connue de ses pas seuls. Ses longs cheveux d'un blond presque nacré et rigoureusement lisses se balançaient joyeusement dans son dos au rythme de sa course.
Essoufflée, les joues rosées par l'effort mêlé à la chaleur étouffante de l'été, elle posa une main sur son grand chapeau tout en se retournant pour voir si il l'avait suivie, un sourire amusé étirant ses lèvres délicates. Sourire qui se fana bien vite lorsqu'elle se rendit compte qu'elle était seule. Seule au milieu d'une immense friche éloignée de tout, perdue au milieu de la campagne du Royaume, dans lequel elle était née et avait grandi, sans jamais en avoir franchi la frontière. Tout ce qu'elle connaissait se limitait entre autres à ces champs interminables, qu'elle pourrait fouler des heures sans jamais être dérangée.
Déçue malgré tout, elle rebroussa chemin, son corps bien moins expressif qu'à l'aller. Le soupir qu'elle poussa en arrivant à destination fit se redresser sa mère, assise confortablement dans un fauteuil à l'entrée de leur petite maison.
- Solange voyons, on dirait que tu es à l'article de la mort. Qu'a-t-il pu encore bien se passer pour que tu te mettes dans des états pareils ?
La jeune fille tourna son visage angélique vers elle, une mine boudeuse le rendant très enfantin.
- Allez donc demander à Charles.
Cette remarque arracha à sa mère un petit gloussement, ce qui eut pour effet de hautement agacer Solange qui se leva prestement et tourna rageusement les talons en direction de l'entrée.
- Vous ne me prendrez donc jamais au sérieux !
Le claquement sec de la porte ponctua son exclamation.
Une fois certain que tout danger était écarté, le jeune homme sortit de sa cachette en posant un doigt sur sa bouche pour intimer la mère de Solange au silence. Cette dernière acquiesça, un sourire espiègle illuminant son visage fatigué par le travail. Contrairement à ce que pouvait parfois penser sa fille, ce jeune Charles l'amusait fortement. Il n'était jamais à court d'idée pour rendre Solange furieuse.
- Cette fille est trop précieuse, vous l'avez bien trop protégé Catherine.
- Arrête de dire des bêtises veux-tu et viens t'asseoir discuter un instant.
Elle observa avec un intérêt désuet l'attitude nonchalante du grand jeune homme de bientôt vingt ans, au physique taillé par le rude travail des champs. Il aurait pu être très attirant s'il n'avait pas eu cette étrange cicatrice partant du haut de sa pommette gauche et allant presque jusqu'à son menton. Car en effet, ses cheveux châtain tirant légèrement sur le blond, ajouté à ses yeux bleu céruléen et son sourire mesquin ravageur ne manquaient pas d'attirer les regards gourmands de toutes les jeunes filles à marier du village. Cependant, bien qu'il était en âge et que ses parents l'encourageaient vivement à trouver un bon parti, lui préférait passer ses journées à travailler et venir chez les Parsol embêter Solange, sans même faire semblant de s'intéresser à d'autres filles. Pourtant, le lien qui l'unissait à cette petite colérique était visiblement purement amical, presque fraternel car étant de quatre ans sa cadette.
- Alors, la saison est-elle bonne pour le moment ?
- Nous ne sommes que mi-juillet, répondit le jeune homme en s'asseyant par terre sous le porche, mais mon père et moi sommes assez satisfaits. On dirait que la ville a décidé de nous laisser gagner de quoi vivre raisonnablement cette fois-ci.
Catherine poussa un soupir en s'affaissant un peu plus dans son siège, plissant les yeux en perdant son regard sur la toiture de la maison voisine.
- Nous ne sommes que du bétail seulement bon à les nourrir. Que leur importe bien notre sort tant qu'il en reste suffisamment d'entre nous pour subvenir à leurs besoins !
Charles ramassa une petite pierre de la cour et la fit rouler rêveusement entre ses doigts avant de lever la tête vers sa locutrice, son visage arborant soudainement une mine bien plus inquiète.
- Et vous ? Se risqua-t-il timidement, comment vous en sortez-vous ?
Elle lui adressa un sourire bienveillant mais mit du temps à répondre.
- Eh bien... Il se trouve que nous avons été en ville récemment pour les affaires de mon mari et ne voulant pas laisser Solange seule ici puisque tu n'étais pas là, je l'ai emmenée avec nous. Nous avons mis nos plus beaux habits et nous sommes promenées toutes deux dans le centre ville pendant l'attente.
Le jeune homme se redressa, légèrement mal à l'aise. Il redoutait le pire.
- Comme tu l'as sans aucun doute remarqué, le charme de Solange est disons... spécial.
Il ne pouvait la contredire sur ce point. Solange n'avait beau avoir que seize ans, son visage faisait très mature, avec sa peau laiteuse, ses ravissantes tâches de rousseur, sa bouche malicieuse. Et au-delà de ses incroyables yeux bleus tirant fortement sur le gris ou de sa taille élancée et longiligne, le détail le plus frappant dans son apparence restait son incroyable chevelure. Chaque fois qu'il se perdait à l'observer, il y trouvait toujours une nouvelle nuance de blond, comme si elle s'accordait à toutes les luminosités existantes. On voyait rarement beauté si pure dans un endroit aussi reculé de la campagne. Nul doute que si elle était née à la ville, les plus beaux partis se seraient battus pour sa main.
- Pour faire court elle a été repérée, reprit Catherine, sortant Charles de ses réflexions qui fronça les sourcils à cette nouvelle, Nous ne l'avons pas remarqué sur le moment, mais une lettre est arrivée il y a quelques jours, disant que le fils unique d'une riche famille de la ville avait eu un réel coup de foudre en voyant Solange. Il assure ne donner aucune sorte d'importance à sa naissance et propose de faire connaissance avec elle dans le but d'arranger leur potentielle union. Et je dois dire que ce serait une sacrée opportunité compte tenu de nos conditions de vie. Les chances que cela arrive étaient si infime !
Charles se leva prestement en époussetant son pantalon en lin.
- Quel âge a-t-il ? Demanda-t-il simplement.
Étonnée, Catherine ne réagit d'abord pas, tant le ton brusque du jeune homme l'avait décontenancée.
- Il me semble qu'il est à peine plus vieux que toi, je ne me souviens plus très bien.
L'expression du jeune homme s'adoucit un peu. Au moins la différence d'âge n'était pas si choquante. Cependant cette nouvelle ne lui plaisait en aucun lieu. Il allait falloir qu'il médite sur tout cela. Il allait par ailleurs poser une autre question lorsque la porte d'entrée s'ouvrit sur une Solange visiblement ennuyée. Mais son regard morne laissa bien vite place à une colère sourde lorsqu'il se posa sur son ami.
- Oh toi... gronda-t-elle tout bas, tu ne perds rien pour attendre.
Et, relevant soigneusement sa robe longue, elle entreprit une véritable battue à la recherche d'un Charles s'étant enfui à toutes jambes dès qu'il avait aperçu la jeune fille.
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ZOO
Short StoryParfois, la première impression est si éloignée de la vérité qu'il faut juste se laisser porter par ce qui est en train de se passer...