chapitre 65 : pénurie

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SARAH

Des maraudeurs. Voilà ce qu'ils étaient devenus. Après des jours et des jours à être enfermés dans cette maudite abbaye, afin de protéger leurs positions... Ils commençaient tout doucement à comprendre qu'il subissaient un siège. Oui, l'ennemi n'allait pas passer, oui, ils avaient une position de force incontestable... Mais ils étaient enfermés. Restants là, à errer dans ces couloirs frigorifiés, tuant le temps en tournant à droite et à gauche.

Une foutue blague très peu amusante.

Et puis finalement ce qui devait arriver, arriva.

Presque plus de médicaments, presque plus de quoi anesthésier quand la gangrène gagnait les blessures... C'était comme retourner quatre siècles auparavant, où l'on sortait les hommes des champs de bataille comme des morceaux de chair qu'il fallait à tout prix recoudre... Ou amputer. Mais la vérité était qu'ils avaient besoin d'hôpitaux. Ils avaient besoin d'assez de nourriture pour tout le monde, ils avaient juste... Besoin. Considérablement.

Alors quand la nuit tombait, quand les éclaireurs et les autres soldats avaient passé plus de trois jours à sillonner les environs pour au moins trouver de quoi les sustenter, ils allaient enfin pouvoir sortir.

Sarah faisait partie du lot. En tant que médecin, elle était plus que pressée de vider de ce qui restait des pharmacies pour aider les centaines d'hommes qui souffraient.

Ils étaient seuls. Face au reste du monde. Et ce n'était même pas une façon de parler, c'était la triste réalité. Seuls, seuls et encore seuls... La seule barrière qui séparait l'ennemi et la fin infaillible, contre le restant. Pourquoi eux, alors qu'il y avait tant d'autres portails pour entrer en Europe ? Pourquoi avaient-ils choisi de les faire chier, juste eux ?

Pourquoi le monde partait-il en couilles ?

Tant de questions sans réponses qui rendaient la lieutenante médecin folle.

Elle tenta de s'alléger du poids existentiel qui lui plombait le diaphragme, en poussant un grand et lourd soupir, mais rien n'y fit. Elle s'installa donc lourdement à l'arrière du camion, éclairée par les réverbères aveuglants qu'on avaient placé à l'entrée de l'abbaye et tenta du mieux qu'elle pouvait de ne pas grelotter de froid.

La neige avait arrêté de tomber, certes... Mais le gel, lui, n'avait fait qu'augmenter.

L'épaisse couche de neige qui était d'habitude si douce sous leurs pieds, était à présent aussi dure qu'une banquise, recouvrant les vastes étendues Italiennes comme si le Pôle Nord avait déménagé. Ils vivaient une sombre et longue nuit, quasi éternelle... Et le soleil avait de plus en plus de mal à percer ces immenses nuages gelés au-dessus d'eux.

Le lourd bruit du moteur du camion finit quand même par démarrer et c'étaient amassés comme des moutons allant à l'abattoirs, qu'ils filèrent chercher de quoi les maintenir en vie.

***

Les gens paniqués avaient peut-être liquidé absolument tous les magasins sur leurs chemins, mais ils avaient plus d'un tour à jouer. Il aurait fallu de quelques explosifs pour éclater les portes renforcées des entrepôt, mais ils avaient enfin réussi à rentrer. Quand la porte de l'immense centre commercial s'ouvrit, une violente odeur de moisissure les envahit. Sarah dut en plisser le nez qu'elle s'empressa de cacher dans son gros foulard et il y en avait même d'autre qui se munissaient de masques à gaz.

Ce n'était pas une exagération, l'odeur était vraiment putride. Entre les fruits et les viandes, c'était une abomination.

Mais il fallait passer outre.

Elle, comme tous les autres médecins, ne s'attardèrent pas sur cette horrible odeur qui les tenaillait, faisant voleter un million de mouches de part et d'autres, et se dirigèrent directement au fond du grand magasin. C'était surement à cause de la climatisation qui avait continué à fonctionner après le départ de tout le monde... Et même si les générateurs n'avaient pas fonctionné depuis un bon bout de temps, et que l'endroit était aussi froid que l'extérieur... Il était trop tard. Tout, absolument tout, était ravagé.

Même habillé de ses immenses bottes militaires dont les crampons devaient la stabiliser sur les surfaces les plus glissantes de ce vaste monde, Sarah manqua plusieurs fois de glisser sur tout ce qui avait coulé par terre. Elle se rattrapa de justesse sur une étagère et souffla, agacée. L'une des infirmières tenta de revenir en arrière pour l'aider, mais elle lui fit signe de partir, qu'elle les rejoindrait après. Une fois qu'elle était seule dans le rayon, la jeune docteure souffla en se pliant en deux, posant ses paumes sur ses genoux. Elle commençait à vraiment avoir du mal... Mais il fallait qu'elle avance. Elle ravala donc son dégoût, s'étira du mieux qu'elle pouvait, peu lui importait qu'elle était complètement pliée en deux à cause de la lourdeur de ses affaires et enjamba l'immense flaque de... D'on ne sait quoi, pour rejoindre le fond.

On était déjà en train de poser des mini-explosifs sur les caissons qui détenaient les médicaments quand Sarah commençait à enfourner tout ce qu'elle pouvait foutre dans un sac. Bandages, seringues, alcool, même des foutus dolipranes... Tout y passait. Tant que c'était médical et que ça avait un but de soigner, la traduction viendrait après. Agenouillé au sol, éclairée par sa lampe frontale, Sarah ne sursauta même pas lorsque les explosifs éclatèrent.

Un réflexe qui la faisait toujours peur... Car comment pouvait-on ne pas être effrayée par une bombe ?

On commença à se procurer des sachets de morphine, des pipettes de méthadone, des milliers de pilules de vicodine et autres drogues qui pourraient faire languir ces pauvres hommes allongés dans leurs lits. Sarah était tellement obsédée de ramener tous ces médicaments au plus vite, qu'elle ne remarquait même pas le général de brigade Natoli qui s'était rapprochée du comptoir, posant sa lourde arme parmi les autres boîtes de médicaments. Car lui, comme Laïthan avant lui, était parmi ces rares officiers de guerre qui ne laissaient jamais ses troupes partir sans lui.

Il retira aussi son casque, brièvement et abaissa le foulard qui lui cacha la moitié de son visage mal rasé.

- Vous avez tous ce dont vous avez besoin, lieutenant Anderson ?

Son fin accent Italien qui transperçait son anglais quasi parfait, retentissait dans le vaste écho du magasin, tout comme le bruit des autres soldats qui chargeaient tout ce qu'ils pouvaient trouver. Sarah se redressa vers l'officier et assura que oui, d'un petit coup de la tête.

- Assez pour assommer quatre mille éléphants. Mais ça ne durera pas... Il faut qu'on les repousse encore plus loin. Qu'ils sortent carrément de la botte. On ne pourra pas avoir de tels coups de chances à chaque fois. Où en est l'armée Italienne ? Ils vont bientôt venir ?

Le visage du grand officier se décomposa l'espace d'une fraction de seconde. Assez pour que Sarah le perçoive. Elle savait ce que ça voulait dire. Mais il n'allait pas le prononcer à voix haute. Au contraire, même. Il reprit ses affaires et d'un petit coup de main sur le bout du comptoir, il assura en italien aux autres médecins et infirmiers de se dépêcher. La lieutenante le regarde partir, un nœud nouant sa gorge.

Personne n'allait venir.

Absolument personne.

Ils étaient seuls et allaient continuer à être seuls.

C'était fini.

Il n'y avait plus qu'eux.

One Last Mission T05 ~The Wars We Fight For| ✅Où les histoires vivent. Découvrez maintenant