Crève-cœur

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La bile remonte dans ma gorge, ma respiration devient aléatoire, mon corps tremble. Mon esprit embrumé n'arrive plus à se concentrer, les larmes déferlent sur mon visage et viennent inonder mon âme. Je t'ai laissé me tuer.

Tu m'as fait du mal, tu m'as pourri l'existence, tu m'as fait mourir à petit feu. Je t'ai supporté bien trop longtemps, tu m'as tout pris. Mon bien-être, ma joie de vivre, ma confiance, ma personnalité, ma famille, mes amis. Tout ce qui pouvait faire mon bonheur. Tu as broyé mes émotions, tu les as piétinées sans remords. Sans relâche, tu m'as bousillée. Alors je suis morte – c'est bien l'objectif que tu visais, non ? Mais pourquoi ? Mieux renaître, tel un phénix ? Mais en suis-je un ? J'ai péri dans tes flammes dévorantes, te laissant me consumer sans rien tenter pour t'en empêcher. J'ai préféré me laisser sombrer au lieu de me battre. Qu'aurais-je pu faire, de toute façon ?

Ton emprise sur moi était totale. Je me suis laissée grignoter petit à petit, jusqu'à ce qu'il ne reste rien de mon être. Tu me picorais lentement, je n'ai rien vu venir, fourbe que tu es. J'ai d'abord cru que tu allais m'aider, seulement, je me suis fourvoyée. Tu as pulvérisé chaque strate qui faisait de moi celle que j'étais. Avec assurance, tu as empiété sur ma vie.

Tu es venu marivauder quand j'étais dans une phase difficile, au bord du gouffre. Tu en as profité pour m'auréoler avec tes beaux atours afin de te faire une place dans ma vie. J'ai cru que tu allais la rendre meilleure, cependant, tu as tracé un sillon nauséabond pour me pourrir de l'intérieur. Naïve, je pensais que tu amenais le soleil dans mon existence. J'aurais dû me méfier, car c'est la désolation que tu as éparpillée dans chaque parcelle de ma substance.

J'étais faible, tu en as tiré profit. Te délecter du malheur d'autrui est ton péché mignon et tu m'as prise pour cible. Progressivement, tu as meurtri mon cœur, tu as englouti mes sentiments. Tu t'es nourri de mon mal-être pour te rendre plus fort. Ton ombre a grandi en moi pour m'absorber. Ma lumière s'est éteinte à cause de toi, il était déjà trop tard quand j'ai entrevu les conséquences de tes actes. Livrée à moi-même, ta mainmise n'en a été que plus cruelle.

Et aujourd'hui, je suis morte. C'est terrible, n'est-ce pas ? Se laisser entraîner dans la noirceur, ne plus pouvoir respirer seul, avoir besoin d'un soutien constant, même s'il est néfaste, pour essayer de ressentir quelque chose. Comment puis-je encore penser si je ne suis plus ? Mon âme n'en a pas fini ici-bas. Elle me trimbale, pauvre fantôme qui me sert d'enveloppe.

Mais qui m'a donc assassinée ainsi ?

Toi, qui te pensais meilleur que moi. Toi aussi, qui aimais rabaisser les autres pour avoir ce sentiment de toute-puissance. Toi, qui t'es moqué de moi. Toi, qui faisais des messes basses à tes amis quand je passais à côté. Toi, qui m'as fait ressembler à une moins-que-rien. Toi, qui as regardé sans intervenir. Toi, qui es resté silencieux quand les autres m'aspergeaient de leur haine. Toi, encore, qui m'as prise pour me jeter peu de temps après. Toi, qui as joué avec mes sentiments. Toi, qui as pris mon cœur pour le démolir. Toi, qui as cru bon de saccager mes entrailles. Toi, qui m'as rendue si malheureuse au point de penser que je ne valais plus rien. Toi, qui m'as lentement menée vers la perdition.

Moi, qui me suis laissée faire. Moi, qui n'ai pas su me protéger. Moi, qui ai laissé le mal m'envahir. Moi, et mon émotivité exacerbée. Moi, et ma piètre opinion de ma personne. Moi, qui n'ai pas su prendre du recul. Moi, qui ai tout quitté. Moi, qui me suis perdue en chemin, me raccrochant à ce substitut pour apaiser ma douleur.

Toi, mon héroïne. Héroïne de quoi, sérieusement ? J'ai cru que tu pouvais m'aider. M'aider à quoi ? À aller mieux ? À oublier ma vie ? À croire que tout allait bien ? À cause de toi, j'ai oublié qui j'étais. Mais c'est ce que je cherchais, après tout. Tu portes tellement mal ton nom. Tu m'as étouffée un peu plus à chaque inhalation, je te sniffais pour asphyxier mes émotions. Tu t'es insinuée dans mes veines un peu plus chaque jour, shoot bienfaiteur qui me rendait accro à tes effets euphoriques. J'ai cru que tu me libérais de la souffrance en m'apportant la tranquillité, seulement, tu m'immolais à petit feu. Chaque dose en appelait une autre, m'emmenant peu à peu vers l'extinction.

Face au miroir, le corps qui se tient devant moi me terrorise. Blafard, presque sans vie. Terne. Mort. Détruit de l'intérieur, amoché à l'extérieur. En finir ? Cette drogue y est presque arrivée. Seulement, elle m'a ratée. La faucheuse se tient derrière moi, elle attend patiemment mon heure. Devrais-je lui donner ce qu'elle est venue chercher ? Mes mains essuient mon visage en larmes et mes ongles rongés tentent de le griffer. Une bonne à rien. Totalement brisée. Je peux toujours éclater la glace et prendre un morceau pour...

"Madame ? Il est temps de vous rallonger."

L'infirmière s'approche et me prend le bras pour me guider jusqu'à mon lit, mettant un terme à mes pensées lugubres. Je peine à avancer, elle me soutient. Elle installe de nouveau la perfusion pour m'aider à me calmer et tente de m'apaiser avec des mots que je n'entends pas. Lorsqu'elle s'en va, mon regard dévie vers la pénombre de la pièce. Le squelette vêtu de noir se tient tranquillement assis. Il n'a qu'un pas à faire pour me faucher la vie. Il suffirait d'une petite bulle d'air dans ce tuyau qui me maintient à flots, la même qui est entrée dans mes veines avec la dernière seringue que j'ai utilisée pour tenter de me tuer. Je n'ai plus rien à faire dans ce monde, l'être qui m'observe n'est pas là pour rien. Je ferme les yeux et m'éteins, espérant que s'arrête mon chemin.

Lε ოօղძε ძε մოἶ - Recueil de nouvellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant