9

14 1 3
                                    

— Mais tu fais quoi ?

Elle referme le passage, se réfugiant à l'autre bout du lit. Extirpé de ma ferveur, je marmonne quelques mots d'excuse. Ne lui laissant pas le temps de prendre conscience de la boucherie qu'est devenue sa chambre, je file sous la douche que j'ai repérée en arrivant juste avant la chambre, en haut des marches. Recroquevillée sous sa couette, elle ne me jette même pas un regard quand je revêts ma tenue. Peu importe, je me sens bien. Ça ne m'était pas arrivé depuis... je ne sais même plus. Guilleret, je dévale les escaliers, laissant derrière moi ces instants magiques.

Ma mère est toujours assise sur le siège passager, en train de compléter des mots fléchés à la lueur du plafonnier ancienne génération. Elle sursaute légèrement au bruit de la portière. Je prends à peine le temps de boucler ma ceinture en démarrant le moteur, en quelques secondes nous sommes en mouvement, sans un regard derrière nous.

— Tu en as mis du temps mon chéri.
— Désolé maman, elle s'est vomie dessus. J'ai nettoyé et j'ai dû l'aider à se mettre dans son lit à l'étage.
— Tu es un bon garçon mon Basti, quoi qu'en disent les gens.

Quelle est cette étrange sensation de vide qui emplit ma poitrine ? Cette envie de tout avouer, de demander pardon d'être ce que je suis, de l'implorer de cesser ces compliments erronés ? C'est sur la pointe des pieds, comme deux cambrioleurs, que nous rejoignons nos chambres respectives, sourires aux lèvres. Elle dépose un silencieux baiser maternel sur ma joue avant de filer dans la salle de bains. Je m'étale les bras en croix, prêt à rejoindre ceux de Morphée dans de doux rêves ensanglantés.

— Bip ! Bip ! Bip ! Bip...

Quelle est donc cette ignominie qui martèle mon crâne ? Ah, oui ! mon réveil. D'un bond, je surgis sur l'appareil pour le faire taire. J'enchaîne les activités matinales avec entrain. Petit-déjeuner, douche, brossage des dents, coup de peigne, vêtements propres.

Ébloui par les néons dans ce hall marbré grotesquement gigantesque, je n'ai pas souvenir d'avoir pris la route pour me rendre chez mon éditeur, trop occupé à ressasser les événements de la nuit dernière et à fixer mes mains tellement j'hallucine d'avoir autant la pêche ce matin.

— Le voilà ! Ma star !

Il ne m'avait pas manqué celui-là, avec sa gestuelle ubuesque. Il me pousse vers son bureau, déversant un flot de paroles trop vif pour moi, surtout aussi tôt dans la journée. Je m'installe sur le fauteuil qu'il me pointe. Sourcils froncés, je l'observe se mouvoir tel un fauve en cage. Il attrape une bouteille dans son mini réfrigérateur. Il en retire soigneusement la coiffe. D'un geste expert, il dévisse le muselet, chaque tour de poignet le rapprochant du but. La capsule reste ancrée dans les mailles en fer, qu'il repose avec douceur sur son bureau. Quelques secousses, le pouce qui pousse le bouchon. Pop, la mousse se déverse sur ses papiers éparpillés.

— Tu sais ce qu'on fête mon gars ?

Je doute qu'il s'agisse de mes exploits nocturnes ou de cette énergie qui me traverse de part en part. Un léger mouvement de tête de gauche à droite en guise de réponse élargit son sourire. Je suis pourtant habitué à sa personnalité excentrique. Je ne devrais plus m'interroger sur ses capacités mentales quand il agit comme un fou furieux.

— Ton bestseller mon pote ! Ton PU-TAIN de bestseller ! Les gosses s'arrachent ton bouquin comme si c'était le nouveau truc de l'autre là avec les sorciers.

« Bestseller » navigue dans mon esprit tel un feu d'artifice qui s'envole dans le ciel. L'histoire de ma déchéance, tout ce qui fait de moi cet adulte incompris et étrange aujourd'hui, ce récit sombre, angoissant, terrifiant, se vend comme des petits pains. Ma misère va me rendre riche. Les bulles chatouillent mes narines, encore émoustillées de l'odeur de la chambre de la brune. Non. Ce n'est pas ma véritable autobiographie que les lecteurs s'arrachent. Simplement une pâle superficie de quelques tourments enfantins.

AnormalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant