-Fallait-il réellement en arriver là.. ? Pourquoi, père ? Pourquoi tous nous mener à une mort certaine, par simple trop-plein de fierté de votre part ? N'êtes-vous donc pas humain ?
L'homme, assiégé sur le grand trône d'argent, tapa de son poing ferme sur l'accoudoir gauche de celui-ci, ses bijoux cognant contre le métal précieux.
-Silence. Il parlait d'une voix ferme mais parfaitement calme. Aucune expression n'était lisible sur son visage, bien que ses yeux parlaient pour lui. L'agacement et la déception se voyaient, rien de plus. Il fixait son aîné d'un air déçu et méprisant, comme il regarderait un cochon. Il poursuivit :
-N'as-tu pas compris, Eselion ? Tu es le futur roi, ne devrais-tu pas penser comme moi ? Soutenir ton propre père ? Pourquoi te montes-tu contre moi avec tant d'insolence, toi, mon premier né, mon seul fils et héritier ? Tu es comme ta mère, ce regard accusateur, ces paroles odieuses et déplacées à mon égard.. Je suis ton père, mais surtout le Roi. La prochaine fois que tu me contredis, je te ferai exiler. Maintenant va, mon enfant, tu as une guerre à gagner.Ces images raisonnaient dans ma tête, sans cesse.. Comme une hantise, un cauchemar. Et si je n'avais pas choisis les bons mots ? Peut-être aurais-je pu l'en empêcher, que rien de ceci ne serait arrivé mais me voilà, l'armure détruite et l'âme errant au-dessus de tous ces corps massacrés, ces pauvres soldats menés à la mort. Me voilà assis au milieu de corps, ceux de mes amis, mes ennemis... J'en connaissais l'issue mais j'y suis allé, j'ai écouté, encore une fois, les paroles de mon père. Nous avons gagné, mais à quel prix ? Celui de milliers de vies, de familles brisées, d'enfants qui ne verront jamais plus leur père rentrer à la maison.. Bon sang, j'aurais aimé que ce soit la mien qui ne revienne jamais. Qu'il meurt dans une fosse à moutons, les tripes au vent, qu'il bêle comme les bêtes avec lui et qu'il y pourrisse. « Encore un héritier qui va se venger et tuer son père » allez-vous dire. Sachez, vous qui lisez mes mots en cet instant, que je ne compte point me venger de quelque manière que ce soit. C'est mon père, il est le roi de ces terres et je ne gagnerais rien à le tuer de mes mains, à part accéder plus rapidement à ce trône dont je n'ai jamais voulu. Si seulement ma mère était là, elle m'aurait conseillé, aidé.. Mais elle n'est plus, il l'a tuée, massacrée sous prétexte qu'elle « conspirait contre lui ». Il n'en a jamais été question, vous savez. Elle n'a jamais voulu le faire tomber, il est odieux mais elle l'aimait, et la seule chose qu'elle voulait était que je reprenne un royaume prospère, pas un tas de cendres et de corps putréfiés comme c'est actuellement le cas. À quoi bon régner sur un peuple détruit et mourant et sur des terres détruites ? Nous sommes la honte d'Astromenos et de tous les royaumes aux alentours, cela ne fait aucune doute.
Le prince se releva finalement, tenant mollement son épée dans son poing, le cœur serré et le regard vide. Il marchait d'un pas las, enjambant les corps les uns après les autres, amis comme ennemis. Les deux armées avaient été décimées jusqu'au dernier soldat, sauf lui, faisant donc remporter la batailler à son royaume, mais également et pour son plus grand malheur à son père. Ses pieds le guidèrent machinalement vers chez lui, bien que son esprit fût inactif, vide, inexistant et brisé.
Pendant ce temps, sa Majesté attendait impatiemment le retour glorieux et acclamé d'Eselion et son armée. Quelle ne fut sa surprise lorsqu'il vit au loin son fils revenir seul, sans armure et l'épée tordue, boîtant comme un chien de chasse embroché par un sanglier. Il grinça des dents et ordonna aux gardes de l'escorter jusqu'à la salle du trône, fou de rage que son armée ne soit point revenue avec son capitaine.
Eselion entra alors dans la salle accompagné des deux gardes qui se retirèrent sur ordre du régent, dont la voix résonna sèchement dans le grand hall :
-Eselion, mon fils. J'attends de toi des explications, sommes-nous victorieux ? et surtout.. Pourquoi es-tu seul ?
Le prince tressaillit. Il replaça ses boucles rousses en arrière nerveusement, soupirant lourdement, il savait très bien comment se finirait cette conversation. Il pris finalement la parole après un long soupir :
-Père, je vous avais mis en garde concernant l'issue de cette guerre. Je vous avais dit que vous conduisiez tout le monde à une mort certaine, vous n'avez pas écouté. Vous voilà maintenant sans armée. La guerre est certes gagnée, mais nous sommes sans défense et les ennemis ne tarderont pas à venir chercher leur revanche.. Vous venez de signer la fin de notre royaume ainsi que la vôtre, Père.
La seule chose à ne pas provoquer chez le Roi, c'est un tic de visage, et c'est exactement ce que vient de déclencher le rouquin.
Sa Majesté quitta le trône, se tenant debout face à son fils, les mains jointes dans son dos et pris la parole à son tour :
-Comme je le craignais, ta mère a déjà trop eu le temps de déteindre sur toi, Eselion. Il va falloir penser à revoir ton comportement, car à partir de demain, tu seras roi. Maintenant va, débarbouilles-toi, soignes-toi et sois prêt pour demain à l'aube.
D'un revers de la main, il fit signe au jeune homme de quitter la salle et suivre les ordres donnés, ce que ce dernier exécuta sans chercher plus loin, la tête basse et la main gauche posée sur son flanc droit, faisant stopper le sang de sa blessure. Des domestiques le prirent en charge, appelant le médecin du château par la même occasion. Il s'occupa des blessures du prince, celui-ci grognant de temps en temps à la douleur. S'en suivi des dizaines de domestiques, s'occupant de le pomponner, l'une s'occupant de ses cheveux, une autre de son visage, une troisième s'occupant des chaussures, tout pour le préparer au couronnement. Car oui, l'aube n'est pas loin, pas le temps de dormir ou se reposer ne serait-ce qu'une vingtaine de minute.L'aube était là, et avec elle mes craintes et mes doutes se levaient, petit à petit. Le soleil éclairait mes démons, mes appréhensions. J'avais failli au devoir confié par ma mère. J'allais régner sur un tas de cendres, de cadavres. Une terre désolée et ravagée par la guerre, par mon père.
Je tressaillis un instant lorsque mon nom résonna dans le couloir, d'une voix grave et impassible. Je pourrais reconnaître cette voix entre mille, mais il y a bien longtemps que je ne l'avais plus entendue pour s'adresser à moi.
Je soupirai longuement, sortant de la pièce pour me tenir face à ce grand homme, ses longs cheveux bleus pâles ne m'ayant guère manqué.
-Précepteur Orgol, que me vaut votre visite après tant d'années ?
Il se racla la gorge, me fixant d'un air aigri et dégoûté que je ne lui connais que trop bien et fit résonner sa grosse voix rauque dans le couloir :
-Ne parlez pas sur ce ton ironique et faussement joyeux, Prince. Je viens vous chercher sur ordre du Roi, bien que cela ne me fasse guère plaisir de vous voir monter sur ce trône. Vous auriez mieux fait de vous faire tuer, cela vous aurait évité un calvaire comme celui qui vous attend. Jeune et idiot hm.
Je pousse un long soupir et regarde le ciel à travers la vitre à ma gauche, me frottant le visage ensuite, mes tâches de rousseurs se voyant d'autant plus avec le soleil, fixant le vieux mage.
-Je sais, mais si je monte sur ce trône, j'ai une chance de changer tout ce que mon Père a fait, rendre ce royaume à nouveau accueillant, joyeux, vivable. Honorer ce que Mère a toujours voulu.
-Ne me fixez pas avec vos grand yeux verts de la sorte, très cher. Votre Mère n'aurait certainement pas souhaité vous voir sur ce trône dans de telles conditions. Le peuple ne vous fera pas confiance.
Un point pour lui. Le peuple ne fera jamais confiance au fils du tyran qui a tout réduit en poussière.. Je m'avançai et lui fit signe de la tête de me suivre, me rendant à la chapelle pour la cérémonie.
-Certes, mais ils feront confiance au fils de la femme la plus humble, emplie de bonté et tendre de ce royaume, Orgol. Je n'ai jamais été comme lui et ils le savent très bien. Ce n'est qu'une question de temps..
VOUS LISEZ
La fleur des âmes
FantasyQuelques mois auparavant, son monde avait été ravagé par la guerre. Depuis que la plupart des humains ont été décimés, des créatures jusque là jugées mythiques sont découvertes jour après jour, dévoilant l'existence d'un monde, bien caché depuis des...