Il faisait nuit sur la ville. Une de ces nuits où l'on aurait peur de sortir de chez soi, craignant que les ténèbres nous avale. Le seul rayon de lumière qui émanait de cette profonde obscurité provenait de la pleine lune, suspendue au ciel. La seule chose que l'on pouvait entendre, à cette heure-ci, était la résonnance du silence troublant de cet endroit.
Soudain une ombre apparut au coin de la rue déserte, brisant ainsi le silence de la nuit. Une fille. Une fille s'avançait alors vers ce qui semblait être la taverne du coin. Arrivée sous le porche, elle entra sans hésiter, sûrement par habitude ...
Le bar était quasiment vide : quelques joueurs de cartes restaient, ainsi que des habitués discutant entre eux, un verre à la main qui se renouvelait toutes les quarts d'heure. Derrière le comptoir, un homme essuyait tranquillement des verres, serviette à la main maus fût interrompu soudainement par les bruits de pas de la fille qui venait de traverser le seuil de la porte d'entrée.
- Mya !!! Comme d'habitude, je suppose ?, lui demanda l'homme.
La dénommée Mya acquiesça d'un léger mouvement de tête et s'assit sur un tabouret en bois de façon à pouvoir s'accouder sur le comptoir. Elle sortit alors une pièce de sa poche et se mit à la faire tourbillonner sur la surface boisée du bar, de plus en plus rapidement.
C'était une jolie jeune fille aui ne devait pas dépasser les dix-huit ans. Ce n'était pas une beauté fatale, une femme poue laquelle les hommes seraient prêts à verser du sang. Non. C'était une fille qui avait acquis un certain charme et qui dégageait une aura attirante : ses yeux brillaient. Mais cette lueur ne semblait pas provenir de bonheur ou de joie quelconque dans sa vie, cette lueur brillait plutôt de mélancolie et de solitude ... Cette fille en avait l'air d'en vouloir à la vie. Mais son charme ne venait pas seulement de cette triste étincelle luisante dans ses yeux noisettes. Elle était un tout. Son allure, ses mouvements, ses paroles. Elle pouvait tout aussi bien être calme et nonchalante un instant et, l'instant d'après, devenait complètement incontrôlable. Mais elle gardait toujours cette grâce étrangement inhumaine mais tout aussi admirable malgré sa dégaine : elle s'affublait le plus souvent d'une veste en treillis kaki, de jeans troués aux genous dus à l'usure du temps et à de nombreuses chutes, de chaussures de marche habituellement tachées et salies par la boue et la terre et elle attachait ses cheveux bruns, qui lui arrivaient un peu en dessous de l'épaule, en une tresse qu'elle reliait sur le côté de son épaule droite. On pouvait d'ailleurs encore apercevoir, entremêlées dans sa tresse, une mèche de cheveux teintée de rouge, résultat d'une aventure adolescente ...
Quelques secondes plus tard, l'homme était revenu avec un verre dans une main et une bouteille de téquila dans l'autre. Il les posa sur le bar, en regardant Mya d'un air désolé et se remit à essuyer les verres restants.
Mya continua pendant quelques minutes à faire tourner sa pièce, le regard hagard et vide. Puis, tout à coup elle releva la tête pris la bouteille et le verre dans ses mains d'un seul coup et se mit à se verser un verre... deux verres... trois verres... C'était à partir du cinquième verre que les choses finirent par se gâter. C'était toujours à partir du cinquième... Elle se mit à hurler et à crier se débattant dans tous sens. Des flors de larmes coulaient sans vouloir s'arrêter sur son pauvre visage. Au bout de quelques minutes, elle s'agenouilla à terre, sa tête entre ses bras et les poings serrés avec les yeux ruisselant toujours de larmes qui semblaient infinies.
Les personnes présentes dans le bar à cette heure-ci la regardaient ainsi avec une certaine compassion comme si elles étaient désolées pour elle... désolées que le bonheur ne soit pas passé par sa porte. Elles avaient fini par s'habituer à ses crises quotidiennes dues à l'alcool. Un jour, un homme déposa ses cartes de jeu, quitta sa table et l'approcha pour essayer de la raisonner... de la calmer... de l'aider. Malheureusement, cette effort généreux se solda par un nez cassé et par du sang qui dégoulinait de ces narines, coulant à flot. C'est depuis ce jour, que ces gens là avaient choisi de la laisser s'apaiser seule, d'une certaine manière.
Au bout d'un long quart d'heure, Mya se releva brusquement, toujours en pleurs, prit appuis sur la surface du comptoir grâce à sa main gauche et rafla le reste de la bouteille de téquila à l'aide de sa main restante. Elle approcha le goulot de ses lèvres et but; but le restant de la bouteille jusqu'à la toute dernière goutte. Ses yeux brillaient de plus en plus fort. C'est à ce moment qu'elle balança la bouteille sur le mur d'en face, éclatant le verre. Elle fit un pas en arrière et se mit à chuter contre le sol, comme si le néant était en train de l'attirer vers lui. Sa tête tournait. Son souffle devenait de plus en plus rauque, au fur et à mesure des seconde qui s'écoulaient, et sa respiration de plus en plus saccadée. Elle n'avait qu'une seule envie sur l'instant : fermer des yeux pour ne plus avoir à les rouvrir. C'est alors que son esprit perdit prise et lâcha d'un seul coup. Tout autour d'elle devint noir.