Dernière volonté

10 3 0
                                    

Le voilà. Grand, fier, immobile tel les intimidantes statues de pierre peuplant son antre. Je suis devant sa forteresse, à quelque distance à peine des hautes portes de bronze. Les bourrasques soulèvent la poussière de la plaine sèche et désertique derrière moi, où rien ne pousse et rien ne vit.

 Je suis seule, seule face au Maître. Malgré mon glaive à ma taille et ma lance dans mon dos, je ne peux m'empêcher de me sentir petite, minuscule face à ce géant de pierre. Mais mon courage, lui, ne faiblira pas.

 Tout espoir est parti, balayé par le vent brûlant du désert, et pourtant, je suis là. Je ne m'en remets ni à la chance ni au destin, je ne prie plus depuis longtemps, c'est inutile. Ma volonté et mes rêves sont morts, tués en même temps que mon père, ma mère et mes quatre frères. S'il me restait un semblant d'envie, je l'ai abandonné sur la terre de mes ancêtres.

 Vous pourriez penser que je suis triste, mais non. Je ne suis plus heureuse ni malheureuse, j'ai cessé de ressentir ces choses-là à l'instant même où il s'est immiscé dans ma vie. Je n'aspire ni à la vengeance ni à la réalisation de mon devoir, juste à un semblant de dignité et d'honneur avant de mourir.

Alors, lentement, j'ôte ma lance de son étui et la brandit dans ma main gauche, dressée, prête à frapper. Mon adversaire n'a pas bougé, debout dans l'encadrement de la porte, immobile, silencieux. Je tire mon glaive et le tient solidement dans ma main droite. J'avance vers lui, déterminée. Il bouge enfin et se dirige lui aussi vers moi.

 Nos pas résonnent sur la terre sèche, craquelée par les rayons brûlants du soleil. Ces pas à lui sont lourds et font trembler le sol, mes pas à moi sont légers et ne laissent pratiquement aucun impact, mais retentissent avec la même force. Nous décrivons tous les deux un mouvement circulaire, commençant à nous tourner autour, lui de ses enjambées immenses, moi de mes petites foulées de guerrière.

 Nous nous guettons, chacun tentant de déterminer où l'autre frappera en premier. Il porte dans sa main immense gantée d'acier un énorme marteau hérissé d'horribles pointes. J'essaie d'entrevoir ses yeux dont, dit-on, un seul regard suffit à pétrifier de peur. Mais il les garde résolument cachés derrière un imposant casque de fer aux minuscules fentes. Je comprends le message. Ce combat est autant le mien que le sien. Une victoire trop facile serait un coup considérable porté à son ego démesuré. 

Soudainement lassée de ce petit jeu, je raffermis ma prise sur mes armes et m'élance. Je ne me laisse pas le temps de prendre une dernière inspiration, pas le temps d'avoir peur. Mes pieds frappent le sol, au maximum de leur vitesse, les battements de mon cœur s'accélèrent jusqu'à un rythme presque intenable et mes cheveux claquent dans l'impossible vent de ma course.

 Je prends mon élan et d'un geste d'une formidable amplitude, projette ma lance dans la poitrine du géant, où elle reste profondément plantée, seuls quelques centimètres de bois dépassant encore de la plaie.

Je ne m'attarde pas sur sa réaction. D'un bond prodigieux, dépassant toutes les lois de la physique, j'atteins son abdomen et plante de toutes mes forces mon glaive au niveau de son nombril, l'enfonçant jusqu'à la garde.

Aucun hurlement de douleur ne s'entend, mais le bruit assourdissant d'un objet massif traversant l'air à toute vitesse me cingle les oreilles. Prise d'un sombre pressentiment, je lève les yeux et vois distinctement une grande ombre noire et rectangulaire fondre sur moi. Une fraction de secondes plus tard, un pique acéré déchire ma peau si fine et si fragile. 

Je ne me sens même pas chuter, je ne sens même pas le choc de mon corps heurtant le sol. Je me sens légère, libérée de toute préoccupation matérielle. Je ne crie pas, je ne gémis pas, j'ai juste la force de fermer une dernière fois mes paupières, vaincue.

................................................................................................................................................................

Inspiré de "The Prime Cronus", composé par Peter Gundry

Echappée fantastiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant