Chapitre 1

41 7 7
                                    


Je n'ai jamais rien attendu de la vie. Très jeune, on m'a appris à me méfier de tout le monde et à faire abstraction de tout sentiment.
J'ai découvert à mes dépens que peu importe ce que j'espérais le destin s'acharnait à me l'enlever.

Mais j'ai voulu prouver... Me prouver, leur prouver et finalement surtout te prouver que je suis capable de continuer d'avancer en ayant mis mon coeur à tes pieds.

Combien de fois n'ai-je pas entendu qu'en tant qu'homme, il était de mon devoir de prendre soin de ma mère et de mes soeurs?
Qu'après tout, c'était de ma faute si mon père nous avait abandonnés, trop honteux d'avoir un fils gay?

Mais j'ai fait abstraction de tout, de tout ce qui m'entourait, de tout ce qui me formait pour t'écrire cette lettre.

Je n'avais jamais tenté de mettre des mots sur ce qui se passait en moi. Et pourtant, je t'ai écrit cette lettre en tâchant de te livrer la moindre part de moi.

Cette lettre représentait tout pour moi, aussi bien mes doutes que mes espoirs.

Mais tout s'est effondré quand tu me l'as rendue quelques heures après que j'ai eu le courage de te la confier. Quand je t'ai vu arriver au loin, j'ai de suite compris. Ton corps parlait pour toi.

Malgré la certitude d'être le seul tourmenté par ses puissants sentiments, rien ne s'est brisé en moi. Contrairement à ce que j'espérais. Car si mon coeur s'était brisé, s'il avait éclaté en d'innombrables fragments, j'aurais pu continuer à vivre animé par le désespoir et la rancoeur.

Mais c'est la sensation de sombrer, de me noyer qui m'a cueilli lorsque je t'ai vu. Mon coeur s'est recroquevillé et s'est décroché, dégringolant à mes pieds, me laissant vidé et affreusement inanimé.

Tu étais là, devant moi, le dos voûté, les épaules rentrées.
J'étais là, devant toi, le dos aussi droit que mon corps endolori me le permettait.

Tu n'avais qu'à m'effleurer pour que je tombe à tes pieds. Tu aurais pu me rouer de coup, me faire payer ce que je ressens, car j'ai lu dans ton regard toute la haine et le dégoût que je t'inspirais.

Mais tu m'as tendu ton poing fermé et comme je n'ai pas réagi, tu as laissé tomber au sol ma précieuse lettre réduit à l'état d'une pauvre boulette de papier. Sans un mot, sans un regard, tu t'es retourné et tu t'es éloigné.

Aujourd'hui, assis en haut de la falaise, les jambes pendant dans le vide, je vais relire une dernière fois cette lettre avant de la jeter à jamais.

Il m'a fallu une semaine pour me remettre de ton rejet. Je suis resté enfermé dans ma chambre, sans téléphone, sans retourner au lycée. J'avais besoin d'une semaine loin de toi pour faire le point, pour accepter d'avoir tout gâché, et surtout pour essayer de retrouver la sensation d'être en vie.

C'est étrange, mais c'est uniquement maintenant, alors que je suis perché en haut de la falaise et que je m'apprête à te dire au revoir à jamais que je sens de nouveau mon cœur. Il bat si fortement quand je balance mes jambes dans le vide. J'ai soif de cette sensation de liberté, de toute puissance.

Alors, fort de ce ressenti, je déplie ma lettre. Je ne l'ai pas encore relu, je n'en avais pas eu la force. Mais à présent, je suis prêt à la relire une dernière fois. Les mains tremblantes et le cœur battant, je prends une grande inspiration avant de me lancer dans ma lecture.

Ma lettre (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant