Je dormirais seule ce soir

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Les réunions s'enchaînent, encore et encore. Je n'en vois pas le bout. Les vieux politiciens qui se croient intelligents parce qu'ils sont restés à leur poste quand je suis passée au pouvoir jettent divers documents sur la table. Je ne sais même plus quel papier correspond à quoi. Tout se confond, tout se mélange. Les lettres se mêlent aux autres pour former d'autres mots incompréhensibles. Ma vision se brouille, je me frotte les yeux légèrement, personne ne le voit, parce que personne ne fait vraiment attention aux autres dans ces réunions. Je suis fatiguée, je suis incroyablement fatiguée. Je veux juste aller me coucher, mais j'en ai encore pour un moment. Ils ne sont jamais foutus de se mettre d'accord pendant ces réunions interminables. Bon sang, je voudrais être partout sauf ici. Même sur le champ de bataille, ça m'irait. Je veux juste partir, ne plus être confrontée à eux et leurs sourires hypocrites, là uniquement pour faire passer les lois qui les intéressent le plus.



Ça fait un peu plus de deux heures que la réunion s'éternise plus qu'elle n'aurait dû. J'ai l'impression que je vais imploser. Oui, je suis une gamine de 16 ans qui vient de débouler au pouvoir mais je reste votre reine, bande de cons. Vous pourriez un peu prendre mon avis en considération, non ? Après des heures interminables de discussion qui allaient dans tous les sens pour ne jamais se croiser, on a enfin fini. Les vieux politiciens partent tous de la salle de réunion les uns après les autres. Après de nombreux sourires polis, je me retrouve enfin seule dans la pièce, ayant dit aux gardes de m'attendre dehors. Tout ce beau monde sorti, je m'effondre sans aucune grâce sur ma chaise royale. Je jette ma couronne sur la table d'un geste las et, laissant échapper mon masque de politesse, soupire du plus profond de mon être. J'en ai déjà marre et ça commence à peine. Comment ils ont fait, tous les autres avant ? Je regarde par la fenêtre et observe tous les oiseaux voler librement dans le ciel.



Je rêverais d'être un oiseau. N'avoir aucune responsabilité sur les épaules, pouvoir aller là où je le voudrais, pouvoir échapper aux titans qui nous enferme entre les murs, pouvoir goûter à la liberté sans en être privée juste après. Je regarde deux oiseaux en particulier, rejoint par d'autres, abandonnés par certains. Les voir m'apaise. J'ai l'impression qu'une partie du stress de la journée s'en va. Mais je sais parfaitement que l'entièreté de mon stress, du poids qui pèse sur moi, ne s'en ira jamais. Mon seul réconfort n'est plus là, à mes côtés, alors, je ne serais jamais sereine. Après un bon moment à ne strictement rien faire, je me décide à me lever, à récupérer ma couronne et à sortir de la pièce. Les gardes sont là, postés à m'attendre, comme d'habitude. Ils me raccompagnent dans mes quartiers, comme tous les soirs. Et ils se postent devant ma chambre, comme tous les soirs. La relève arrivera à 22h puis fera une autre rotation à 3h, comme tous les soirs. Ils parleront de banalités, ou ne parleront pas, comme tous les soirs. Ils ne parleront pas de boulot, comme tous les soirs.



Enfermée dans la sérénité de ma chambre, je m'écroule, toujours sans aucune grâce sur mon immense lit. Ce lit, je le déteste. Il est trop grand et je suis toute seule. Si je n'étais pas seule, si tu étais là, ce lit, je pense que je l'adorerais. Mais là, je le déteste. Je déteste qu'il soit trop grand parce que je suis toute seule, sans toi. Je déteste qu'il soit trop moelleux parce que ça me rappelle la chaleur de tes étreintes. Je déteste qu'il soit à baldaquin parce qu'il n'y a aucune raison de l'existence de ces rideaux si tu n'es pas là avec moi pour qu'on puisse se cacher du reste du monde. Nous cacher nous et notre amour. Celui que tu me louais sans cesse. Celui que tu me faisais ressentir par des gestes simples mais si aimants. Celui que tu me prouvais par toutes tes caresses incessantes que j'adorais. Parce que, pour une fois dans ma vie, je me sentais aimée. Je me sentais aimée et j'adorais ça. J'adorais voir dans ton regard l'amour inconditionnel que tu me portais. Je sais parfaitement que c'est égoïste de penser ça mais tu adorais quand j'acceptais d'être égoïste et ne penser qu'à moi, qu'à nous. Et tu adorais ça aussi parce qu'au fond, tu étais pareille.

JE DORMIRAIS SEULE CE SOIR || yumihisuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant