Omniscient
24 juin 2019, 2 heure du matin
Appartement de Laila
Svetlana se lève, le soleil est toujours couché, il n'a pas tant envie que cela de se lever. Bartolomeo éteint son réveil qui ne sert à rien. Il ne s'était pas endormi hier. Il n'avait pas pu après avoir lu le message. La fille aux cheveux noirs est devant son miroir, elle pense. Nous savons tous à quoi pense-t-elle. Elle pense qu'elle devra sorti de son rôle pour redevenir elle-même. Elle pense qu'elle est seule face à son destin, face à la mort. Personne ne pourra la sauver. Elle s'appelle Svetlana et il faudra qu'elle soit elle-même jusqu'au bout.
Bartolomeo s'est vêtu de son costume d'Hémon, reste à prouver que ce n'est qu'un costume. Un pantalon en coton léger, une chemise blanche et un veston marron.
Elle a revêtu sa robe d'Antigone, celle qu'elle avait emmené malgré son désir d'oublier. Si sa vie avait tant changé, au point qu'elle ait tout oublier, pourquoi l'avoir pris avec elle pour aller en Russie ?
A la sortie de son hôtel, il n'y avait personne, même pas à l'accueil. Il part donc comme un voleur.
Le bus de nuit arrive et Svetlana saute dedans. Elle ne doit pas perdre de temps. Chez elles, elle a laissé une lettre et une de ces roses au parfum qui donnent un avant-goût du Paradis. Elle en a une dans ses cheveux.
Il attend, comme toujours il est arrivé en avance. Il regarde les peintures murales et l'iconostase divine. Il s'agenouille et se signe. Il sent une présence derrière lui. Mais inutile de s'arrêter car elle fait comme lui. Les deux anciens amants se relèvent et se regardent quelques instants.
« -Bonjour Sveta.
-Bonjour Barto. Tu n'as pas dormi.
-J'aurai toute l'éternité pour cela. Je n'ai pas réussi.
-A cause de ce que je t'ai dit ? » Elle marche un peu en observant les Saints qui les surveillent. Eux seuls savent ce que les jeunes préparent. Ou peut-être que nous le savons tous, nous ne voulons juste pas nous l'avouer car nous assistons à cette scène sans pouvoir rien faire.
« -Sveta tu n'es pas obligée de le faire « ton bonheur est là devant toi et tu n'as qu'à le prendre ».
-Tu sais parfaitement que je n'ai connu le bonheur qu'avec toi. Je ne veux pas du bonheur humain qui m'attend.
-Je vais mourir dans quelques mois alors ma vie est déjà finie. Mais la tienne...
-Tu sembles avoir tout oublié...
-Non. Je veux simplement que tu sois sûre de ce que nous allons faire et que cela ne soit pas moi qui t'es forcé.
-La seule fois où tu m'as forcé a été le trente-et-un.
-C'est vrai. Je te présente mes excuses les plus profondes.
-Discutons-en là-haut, le soleil arrive. » Les deux anciens amants avancent vers le fond de la cathédrale et empruntent un petit escalier caché derrière une colonne.
La montée est silencieuse.
Arrivés en haut ils se placent en face de la ville, leur ville. Le monde est encore gris, la nature ignore encore les Hommes.
« -C'est vraiment magnifique, exactement comme tu me l'avais décrit. » Svetlana ne dit rien, elle pleure. Non de tristesse mais de joie. Là, à cet instant, elle est heureuse. Allez savoir pourquoi.
Le soleil apparait doucement, les couleurs ternes disparaissent petit à petit et le rouge et l'orange viennent se peindre sur le ciel. Les premiers rayons percent le fin brouillard de l'aube.
« -Pourquoi as-tu changé d'avis ?
-Je me suis juste rendu compte que je ne pourrai jamais revenir dans le manège. Je n'ai pas changé. » Les anciens amoureux se taisent. Ils regardent le soleil se réveiller doucement, étirant ses multiples bras. Leurs mains se frôlent sur la barrière de sécurité. Elles se touchent et se prennent sans que les deux ne s'en rendent compte. Elles se serrent de toute leur force. Ils vont en avoir besoin. Le soleil est debout, étalant tout son pouvoir sur la cité mais les deux adolescents sont tranquilles, les hommes ne seront là que dans quatre heures.
« -Allons-nous promener. » Propose Svetlana doucement pour ne pas briser la délicate atmosphère qui s'était créée autour de ce couple bien étrange.
Sans que leurs mains ne se lâchent ils descendent l'escalier qui semble suspendu dans le vide. Florian aurait adoré prendre une photo de cette scène.
La grâce et la légèreté avec laquelle les deux jeunes gens se déplacent nous feraient penser à deux fantômes vagabondants dans leur ville, invisibles de tous.
Ils sortent de la cathédrale après avoir remercié Dieu et partent déambuler dans les rues de la Venise du Nord.
La jeune fille pose sa fine et délicate main sur le bras frêle du jeune garçon. Ils marchent silencieusement. Ils pensent qu'ils sont un peu jeunes pour cela et qu'ils auraient aimé vivre encore un petit peu.
« -Comment va Laila ?
-Je lui ai presque tout dit. Elle était encore en train de dormir quand je suis partie.
-Elle sera triste que tu partes.
-Je lui ai laissé une lettre...
-Ecrite à l'encre violette et qui embaume un délicieux mélange de rose et de violette. A côté il y a cette rose...
-Qui donne un avant-goût du Paradis. » Un silence s'installe. Ils continuent de marcher, de loin on peut croire qu'ils flottent au-dessus du sol.
« -Comment va ton frère ?
-Il s'est réveillé. Je lui ai laissé une lettre également. » Ils passent sur le pont de la Trinité. Svetlana resserre sa prise sur le bras de Bartolomeo. Ils se sont compris sans la moindre parole, sans un seul regard. Si nous étions dans la tête de Svetlana nous aurions entendu « à plus tard. ».
Ils se stoppent au milieu du pont. Bartolomeo ramasse la fleur de Svetlana et la replace dans ses cheveux, lui remettant quelques mèches qui tombaient sur son regard mauve. Svetlana redresse la rose de la boutonnière du jeune homme. Ils continuent la traversée du pont. Dans l'air, le doux vent joue la mélodie de la Valse des Fleurs.
Ils se glissent dans le Jardin d'été. Les statues blanches, les fontaines et les rayons du soleil passant entre les feuillages rajoutent une touche de romantisme à leur dernière ballade.
Après deux heures de promenade avec les oiseaux et l'astre diurne, les deux jeunes gens s'assoient au bord d'une fontaine. Ainsi ils semblent sortir du siècle précédent.
Certains passants viennent troubler leur calme religieux.
Bartolomeo sort une pomme de sa poche et son petit couteau de sa bottine de cuir. Il la pèle puis la coupe en deux et donne l'une des deux parties à Svetlana.
« -Merci. » Elle croque dedans. Un petit goût acide mais sucré se repend dans sa bouche, la rafraichit, le soleil commence à se faire plus imposant.
Les deux adolescents assis au bord d'une fontaine, le soleil passant entre les feuilles des arbres et l'oiseau posé en haut de la fontaine. Cette scène ferait un merveilleux dessin.
La pause est finie et deux jeunes repartent.
Leur promenade dans les jardins de Saint-Pétersbourg aura duré toute la journée et se finit dans le jardin d'Alexandre. Il est désormais l'heure des dernières paroles.
« -Nos chemins se finissent. Avant de partir il me reste une dernière chose à faire. » Bartolomeo l'écoute, les yeux pleins de tristesse. Il pense à la jeune femme forte et belle qu'il a devant lui. Il pense qu'elle ne doit pas partir pour une histoire d'adolescents, qu'elle a toute sa vie devant elle, qu'elle a un bonheur qui l'attend dans son salon, angoissant qu'elle ne revienne pas. Il pense aussi que rien ne pourra la faire changer d'avis.
« -Une toute dernière chose que j'ai à faire avant de quitter cette Terre et ce malheureux bonheur humain. » Il attend patiemment la suite. Il n'arrive pas à croire que dans quelques minutes, tout ce qu'il restera de son amour perdu sera son corps.
« -Je te pardonne Barto. Je ne suis qu'une simple mortelle et je n'ai pas le droit de t'interdire ce pardon. Tu m'as fait souffrir. Tu as détruit à coup de hache notre monde. Mais tu m'as fait comprendre l'autre monde, le « vrai » monde. Tu m'as donné la rage de me battre et tu m'as fait avancer. Grâce à toi j'ai compris qui j'étais. Je me suis trouvée. Alors voilà, je te pardonne.
-Merci. Merci du fond de mon âme aussi impure soit-elle. » Les deux anciens amants se prirent dans leurs bras.
« - « Et serre-moi, plus fort que tu ne m'a jamais serré. Que toute ta force s'imprime en moi.
-Là de toute ma force. ». Le jeune homme se sépare de son Antigone et la regarde quelques instant, le regard plein de tendresse et d'amour.
« -Svetlana, je t'en supplie ne fait pas cela. Ne te sens pas obligée de le faire. Je ne veux pas être responsable de ta mort.
-Adieu Bartolomeo. Au revoir au Paradis. » Elle lui sourit avec son petit sourire triste presque imperceptible et part, sa robe d'Antigone flottant au rythme de ses pas de fantôme.
C'est désormais trop tard pour la sauver. Elle s'accroche sans conviction à la rambarde du pont de la Trinité. Le premier coup de dix-neuf heure sonne. Elle met un premier pas dans le vide. Un second. Et lâche prise, sa rose dans sa main. Elle rejoint les bras accueillants de la Neva qui l'entourent à peine a-t-elle frôlé l'eau.
« -Antigone ! » Le jeune homme ne réfléchit pas et saute à son tour. Dans l'eau vaseuse du fleuve il cherche son amour éternel. Il l'enlace, elle est déjà dans les vapes, frigorifiée. Son dernier geste est de mettre ses bras autour de son Hémon.
Les corps enlacés, vide de leur âme, dérivent. Entre eux se trouve une rose. Son parfum donne un avant-goût du Paradis.
1629 mots
J'avais écris ce chapitre en janvier et j'avais pleuré toute la journée...
Il reste un chapitre et c'est la fin de cette aventure... enfin presqueBisous
Roze
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A la recherche d'un titre
RomanceSvetlana, une jeune femme de 19 ans, retourne dans son pays natal, la Russie. Elle va y rencontrer son idole et sa petite amie qui vont changer sa vision du monde. Mais une personne de son passé censée être oubliée va revenir, ses réflexions d'adol...