9- Le repaire secret

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Une odeur de bière et de tabac à pipe se faisait sentir dans une grande salle souterraine où une vingtaine d’hommes buvaient et riaient aux éclats. Parmi eux, l’un était au centre de l’attention. Le roi en personne.

      Ce dernier termina son histoire qui engendra de nouveaux éclats de rire. Quel roi ! En quelques années, il avait mis fin à la guerre entre nains et elfes, repoussé les démons de l’Inferno vers l’extrême sud du continent, réformé les impôts, et avait totalement éliminé la guilde noire, repère d’assassins professionnels. Grâce à son travail acharné, le continent était en paix. Pourtant il était là à s’encanailler avec les soldats comme s’il était juste l’un d’entre eux. C’était cet homme qu’Anchise aurait aimé servir et protéger.

      Emeraude se retourna pour voir les nouveaux venus. Le jeune épéiste posa un genou à terre. Il reçut une grande tape sur l’épaule.

— Allons, debout ! lança le roi dans un grand rire. J’ai entendu de bien impressionnants récits sur vous, Sieur Anchise.

— Merci, Sire, mais je n’ai encore rien accompli dans ma vie qui soit digne de louanges.


— Qu’est-il donc arrivé à Dimitri pendant le rituel d’âme ?

— Je ne suis pas qualifié pour en juger, Votre Majesté, commença-t-il. Mais si je donne mon avis personnel, je dirais qu’il n’était pas prêt, ou pour être plus juste, qu’il ne voulait pas être lié au vicomte et a donc en conséquence parjuré lors du serment. Cela encore, j’insiste, est uniquement mon point de vue et non la réalité et vérité absolue.


Le roi prit un air grave et plissa les sourcils.

— Venez avec moi, ordonna le monarque.

Il mena Anchise dans un coin sombre. Pour la première fois, celui-ci se retrouva seul face au roi. Cela faisait bien longtemps que le jeune homme n’avait pas eu à lever la tête pour regarder quelqu’un ni même paru si intimidé. La large main d’Emeraude se posa sur l’épaule de l’épéiste.

—  C’est bien malheureux, ce garçon était doué.

— Oui, Sire, très malheureux. Il était l’un de mes amis les plus proches et une des meilleures lames du château.

— Et qui seront les cinq épéistes suivants à finir leur formation ?


Anchise hésita de par sa loyauté au château de Seiros. Avait-il le droit de divulguer de telles informations ?

— Le prochain sera le chef de la maison des Cerfs d’or, un elfe d’Ephleurei. Bon en toute chose et en particulier en stratégie. Mais il est promis au roi des elfes. Ensuite viendra Linfen de la maison des Loups, pour ma part, je trouve qu’il est meilleur sur l’esprit que bretteur. Le troisième sera Haguen, un homme de l’extrême Nord, un candidat superbe.

— Ha, intéressant, parlez-moi de ce Haguen. Est-il aussi bon que vous ?


— Pas encore, mais il a deux ans de moins.

—  Alors le sera-t-il ?

— Presque, à mon humble avis.

Le roi sourit, juger en toute honnêteté un autre épéiste n’était pas chose aisée.

— Bien parlé, Sieur Anchise. Un homme, un vrai, a confiance en ses capacités. Celui qui détient en lui-même les qualités d’un chef sait juger la force de ses pairs. Et j’apprécie votre honnêteté. C’est une qualité rare que les monarques estiment plus que tout. À l’exception de la loyauté, et cela, je puis l’acheter. Le grand-maître m’avait informé que Haguen était exceptionnel, mais vous était inférieur.

Anchise était stupéfait, c’était juste une sorte de test de franchise. Jamais il n’aurait pensé que le roi suivait la progression des apprentis épéistes d’aussi près.

— Votre Majesté est trop bonne d’avoir une telle estime de mes capacités et de moi même, répondit le jeune homme.

— Non, pas du tout, je ne suis pas une bonne personne , je suis impitoyable. Pas que je le veuille. C’est plus un devoir. Et pour l’heure, j’ai besoin d’un chevalier de Seiros exceptionnel. Pour une mission spéciale, et je pensais à vous. Mais maintenant que vous êtes lié… Linfent est-il prêt à servir ?


— Sire, Linfent, comme je vous l’ai dit, n’est pas le meilleur des bretteurs. Mais c’est un homme droit et juste. Il vous fera honneur.

— Bien parlé, mon ami. Surtout, ne répétez cette conversation à personne. Ai-je votre parole ?


— Sur mon honneur de chevalier de Seiros, Sire.

Le roi sourit à nouveau, très satisfait de cette entrevue, semblait-il.

—  À présent, amusons-nous, j’ai ouï-dire que votre habileté à l’épée était exceptionnelle, même parmi les Slaighres.

Slaighre, le roi utilisait le même nom que les druides pour parler des épéistes de Seiros. D’après la légende, c’était le nom originel de la première génération des membres de la guilde. Décidément, le roi était très instruit sur le sujet. Le monarque sembla remarquer l’étonnement du jeune homme.

— Ne soyez pas surpris, Anchise, même si vous êtes politiquement neutre, votre château se trouve sur mes terres, dit en riant le souverain. Donc, je vous disais que j’étais au fait de votre don dans l’art de manier l’acier. Mais peut-être le saviez-vous, je ne suis pas sans mérite non plus.

Décidément, cette première nuit allait de surprise en surprise.

— Vos prouesses sont légendaires. Mais je suis censé être un expert, Majesté.

— Nous verrons. Quoi qu’il en soit, aussi amical soit-il, faites un combat loyal. Honnêteté, vous ai-je dit.


Ils furent bientôt équipés d’épées en bois légères, idéales pour l’entraînement. Le roi s’étirait, Anchise vérifiait ses appuis.
Emeraude se mit en garde, le jeune homme également.
Le pied droit en avant, le bras gauche levé.  Le roi se fendit d’une attaque rapide. L’épéiste para le premier coup, recula d’un pas, para une nouvelle attaque, recula à nouveau d’un pas. Puis d’un coup contre-attaqua.

- Touché !

- Bien, félicita le monarque.


Ils firent une deuxième manche, puis une troisième, ainsi de suite jusqu’à une dixième. Le roi, aussi bon fut-il, ne put jamais percer la défense de l’épéiste. Il s’avoua vaincu. Même si une certaine contrariété était palpable.

- Auxence, montrez à ce surhomme la valeur du commandant de ma garde.

Le commandant prit place à son tour. Et à nouveau, dix manches furent faites. Le visage d’Auxence se crispa de partie en partie. Et le résultat ne fut pas mieux que le souverain. Il félicita son adversaire et quitta l’aire de combat en lançant un regard glacial au jeune homme.

Anchise prit conscience que la vie au château serait bien plus dure qu’il ne l’avait imaginé.

Epeistes : Les Chevaliers de SeirosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant