chapitre 18 : Evenstar

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Elanor s'éloigna sous le regard des Rohirims, et retourna dans la foule compacte chercher ses compagnons. Elle ne parvint pas à retrouver la table où ils étaient, car ses amis semblaient s'être volatilisés. Tout en faisant le tour, elle vit Aragorn adossé seul à une colonne, occupé à fumer sa pipe.

Il était perdu dans ses pensées, et mélancolique, fixait un point dans le vide.

Elanor s'avança vers lui, et le rejoignit.

- Ne vous joigniez-vous donc pas aux festivités ? lui demanda-t-elle.

Aragorn releva la tête, surpris et interrompu dans sa reflexion.

- Hum, et vous ?

- Je cherche en vain nos compagnons, répondit Elanor. Ils étaient pourtant juste ici il y a quelques minutes.

- Merry et Pippin sont avec Gandalf.

Aragorn désigna une table au fond de la salle. Il était difficile de les rater, et Elanor se demanda comment elle avait fait pour ne pas les voir plus tôt. Les hobbits faisaient un tel tapage que le quart de l'assistance s'était réunie autour de leur tablée. Pippin et Merry avaient l'air de raconter une histoire passionnante car tous buvaient ses paroles, et riaient aux éclats. Gandalf s'était installé à côté d'eux, et tout en fumant son tabac, souriait.

- Et j'ai cru voir passer Legolas de ce côté il y a quelques minutes, ajouta Aragorn.

Il montra le côté gauche de la salle, où étaient entassés les barils de bière. Elanor suivit son regard, et scruta à travers la foule, dans l'espoir d'apercevoir l'elfe. Mais elle ne vit rien, car trop de monde bouchait la vue.

- Vous vous êtes beaucoup attaché à lui.

Elanor tourna la tête vers Aragorn, et se sentit rougir furieusement.

- Que voulez-vous dire ?

- Vos sentiments pour lui. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure.

Aragorn expira une bouffée de sa pipe, et la fumée bifurqua sur le visage d'Elanor. Nauséeuse et les yeux piquants, elle secoua la main machinalement devant son nez pour dissiper la fumée.

- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, répliqua-t-elle un peu trop rapidement.

Aragorn laissa échapper un rictus amusé.

Elanor croisa les bras sur sa poitrine. Qu'insinuait-il ? Qu'elle aimait Legolas ? Non, bien sûr que non ! Oui elle était attachée à lui, c'est vrai. Mais de là à... avoir des sentiments amoureux ?

Elle songea à ce qui s'était passé depuis son retour, et à quel point elle se sentait désormais nerveuse en présence de l'elfe. Le baiser qu'il avait déposé sur la paume de sa main la troublait encore, et la sensation de ses bras autour d'elle lui manquait.

Elle se surprit à penser qu'elle aimerait retourner au Gouffre de Helm pendant quelques secondes seulement, rien que pour le sentir contre elle. Cette pensée lui fit soudainement peur.

Etait-elle attirée par l'elfe ? Oui, ça ressemblait à de l'attirance. Du désir même.

Elanor essaya de se donner une autre explication, se disant que c'était peut-être à cause de son physique. Après tout Legolas était un elfe, et il avait un certain charme.

Cependant elle ne pouvait admettre son attirance devant Aragorn.

- Legolas est juste un ami.

L'expression dubitative d'Aragorn lui prouva qu'il n'était pas convaincu, et qu'il voyait clairement qu'elle mentait. Les joues cramoisies, le regard d'Elanor tomba sur le bijou elfique qui entourait le cou du rodeur.

- Vous le portez toujours.

- Quoi ? demanda Aragorn, surpris.

- Votre bijou.

Il perdit son sourire lorsqu'il vit son regard fixé sur son pendentif.

- C'est Arwen qui vous l'a donné, n'est-ce pas ? interrogea Elanor.

- Ce n'est qu'un cadeau.

Une ombre passa sur le visage du rodeur et il dissimula le collier sous sa chemise. Elanor comprit que quelque chose clochait. Elle n'avait jamais abordé le sujet avec lui auparavant, mais comptait bien lui extirper des informations désormais. La dernière fois qu'elle les avait surpris ensemble à Fondcombe, Arwen semblait triste et en colère. Elle ne savait pas ce qui s'était passé entre ces deux-là, mais elle avait l'intime conviction qu'ils étaient amoureux l'un de l'autre. Aragorn n'avait pas passé une journée sans rêvasser, ni à fredonner des airs elfiques à fendre le cœur. Et Elanor n'avait pas vu Arwen aussi radieuse depuis qu'Aragorn était à Fondcombe.

- Elle doit vous aimer énormément pour vous avoir offert ce collier, déclara Elanor.

- Il vaudrait mieux pour elle qu'elle en aime un autre, répondit Aragorn.

La brusquerie de sa réponse stupéfia Elanor. La voix d'Aragorn était sèche et les mots semblaient difficiles à prononcer. A la tête qu'il fit, elle comprit qu'il n'aimait envisager cette idée, et qu'y penser lui causait un grand chagrin. Il ne pensait pas ce qu'il disait.

- Pourquoi dîtes-vous ça ? demanda Elanor. Vous l'aimez non ?

Aragorn se redressa, et parut mal à l'aise.

- Son père est contre notre relation, répondit-il avec une étonnante sincérité. En m'épousant, Arwen est condamnée à une vie de mortelle, Elanor. Et même si le seigneur Elrond accepte notre relation, il ne me donnera sa main qu'à une condition.

- Laquelle ?

- Je dois monter sur le trône du Gondor.

Oh.

La décision d'Elrond était compréhensible, mais dure. Avait-il fait exprès d'imposer à Aragorn cet obstacle insurmontable ? Elanor avait compris depuis longtemps qu'Elrond ne laisserait personne épouser sa fille, à moins que le prétendant soit un prince ou un roi. Et connaissant son lointain cousin depuis peu certes, mais assez, elle le soupçonnait de retarder au plus tard le mariage d'Arwen. Il chérissait sa fille unique comme la prunelle de ses yeux.

Si Aragorn réussissait... Elrond ne surmonterait pas la perte de sa fille. Elanor n'osait imaginer le jour où cela se passerait.

Cependant il ne pouvait s'opposer au bonheur d'Aragorn et Arwen. Même si sa cousine choisissait une vie de mortelle auprès de lui, ce serait injuste de le lui refuser. C'était sa vie, et son choix.

Aragorn monterait tôt ou tard sur le trône. Melian lui avait demandé de s'en assurer, et Elanor comptait bien réaliser son vœu.

- Vous y arriverez. Vous monterez sur le trône.

Le rodeur la dévisagea comme si elle était devenue folle.

- Et comment ? s'exclama t-il. Avez-vous oublié tous les orques qui gardent la forteresse de Sauron ? La porte noire ? Avez-vous oublié l'anneau de pouvoir ?

- Non, répondit Elanor. Mais l'espoir est la seule source de courage qui nous permettra de remporter cette guerre. Si vous n'y croyez pas, qui le fera pour vous ? Voulez-vous déjà abandonner avant la bataille ?

Le choc transparut sur le visage d'Aragorn et il resta silencieux. Elle sut qu'elle avait fait mouche.

- Je ne sais pas ce qui vous est arrivée, dit-il. Mais vous avez changé. Vous parlez avec des mots qui ne sont pas les vôtres. Plus je vous entends, et plus je trouve que vous ressemblez à notre cher Gandalf.

Il y avait un ton aussi sérieux qu'amusé dans sa voix, et Elanor devina qu'il ne plaisantait pas.

A cet instant, Eowyn arriva avec dans les mains une coupe et les interrompit. Elanor vit qu'elle n'avait d'yeux que pour Aragorn, et sentant le vent tourner, elle choisit donc de s'éclipser, et de les laisser seuls. Aragorn lui lança un regard accusateur, mais elle fit mine de ne pas le voir, et s'éloigna.

Un peu amusée, elle le regarda de loin sourire à Eowyn et accepter poliment le verre qu'elle lui offrait.

L'envoyée des Valar - livre III (LOTR-Seigneur des Anneaux)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant