Décharge

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Samedi. Quelle merde.
Lorsque Kenny ouvrit les yeux, le soleil pointait à peine le bout de son nez. Il luttait pour pénétrer la pièce à travers les persiennes.
Ses rayons ricochaient sur les particules de poussière en un fin faisceau lumineux.
Il les observait virevolter autour de lui.

Karen devait encore être en train de dormir, de la maison plongée dans la pénombre n'émanait aucun bruit.

Kenny tendit un bras fébrile en direction du parquet poisseux, à la recherche de son anorak.
Il en extirpa un paquet de cigarette entamé et un vieux briquet.
Courses. Repas. Garage. Repas. Butters.
En voilà un bel emploi du temps.
Il reporta son regard sur le plafond en allumant sa clope.
La fumée s'écrasa dessus silencieusement.
Fissurée, la peinture partait en lambeaux. Comme le reste de la baraque d'ailleurs.

Quitter les couvertures chaudes de son lit lui coûta.
Kenny le fit pourtant sans broncher, enfilant un vieux sweat rouge avant de descendre les escaliers.

Il s'engouffra dans la cuisine, le carrelage froid sous ses pieds nus.
Rien n'avait bougé depuis la veille. Les assiettes sales trainaient toujours sur la table, les bouteilles de sa mère jonchaient le sol, aux côtés des bouquins de Karen.

Il soupira longuement en sortant mécaniquement les œufs du frigo, et enchaina en allumant la gazinière.

Une vraie petite ménagère.
Fallait voir sa silhouette longiligne se mouvoir au milieu du décors sans vie. Il valsait avec le mobilier, d'un pas lent et calculé.
On aurait dit le spectre d'un chat se faufilant à travers les gouttières.
Il ramassa le linge sale pour le fourrer dans la machine entre deux coups d'éponges, se saisit du balai en ajoutant un trait d'huile dans la poêle, vida les cendriers avant de nettoyer la vaisselle.
Une chorégraphie qu'il connaissait par cœur.

Quand Karen quitta le pays des songes aux alentours de dix heures ce matin-là, tout était propre au rez-de-chaussée, et Kenny l'attendait avec des œufs au plat encore fumant dans la cuisine.
Il clopait tranquillement en buvant son café, le regard rivé sur la machine à laver qui tournait bruyamment.
Avant ils faisaient leur lessive à la main. Kenny avait mis de côté pendant trois mois pour s'offrir la bête.

Elle observa son air hagard un instant.
Il avait des cernes sous les yeux, les lèvres gercées. Ses iris fatiguées tiraient du vert au bleu, et ses cheveux en bataille tombaient paresseusement sur son front.
Elle adorait ses cheveux.
Kenny s'en foutait royalement. Il les coupait dès qu'ils devenaient trop longs, et ne s'en préoccupait guère le reste du temps. Karen les trouvait plus beaux à chaque repousse.
Malgré son mètre quatre-vingts, il arborait une allure assez chétive.
Kenny était mince, mais sous ses tee-shirts amples se cachaient une musculature fine, marquée par le temps passé au garage d'Howard après les cours.
Sec.
Il émanait de lui une aura nonchalante. Elle contrastait avec le regard chaleureux qu'il lança à Karen dès qu'il se rendit compte de sa présence.

« Bien dormi ?
- Mh. T'as prévu quoi de beau aujourd'hui ?
- Je bosse à 14 heures. Et faut faire les courses ce matin, puisque tu bouffes pour quatre.
- Hé ! C'est toi qui me prépares des petits-déjeuners de bûcherons ! »

Elle prit place devant son assiette, deux œufs au plat et deux tranches de bacon.
On entendait le plateau du micro-onde tourner, Kenny lui décongelait des pancakes.

Elle soupçonnait son frère de l'engraisser secrètement.

« T'as mauvaise mine.
- Ca fait 17 ans que j'ai mauvaise mine. »

C'était loin d'être vrai. Karen l'observa écraser son mégot dans le cendrier.
Il se leva en buvant la dernière gorgée de sa tasse et entreprit de la nettoyer.

« Je mange pas là ce midi, je sors avec une copine. »

Kenny s'immobilisa quelques secondes avant d'attraper le torchon. Il haussa un sourcil suspicieux en direction de sa sœur.

« Je dois casser la gueule de quelqu'un ?
- A la sœur de Clyde, si jamais. Mais elle prend des cours de Karaté, fais gaffe.
- Cool. La sœur de Clyde. Je l'aime bien. »

Un bref silence suivit cet échange, le temps que Kenny range la vaisselle avant de reporter toute son attention sur Karen, un sourire malicieux flanqué aux coins des lèvres.

« On a dit quoi à propos des garçons déjà ?
- Pas avant que je sois riche et célèbre. »

Elle roula des yeux, agacée.

« Incroyable comme tu grandis vite. »

Il envoya un clin d'œil à sa sœur en feintant l'émoi.
Il ne mentait pas. Elle devait avoir pris une tête depuis Noël dernier. Ses longs cheveux blond vénitien tombaient en cascade sur ses épaules, encadrant un regard bleu profond et un visage fin.
Bientôt, ce serait une belle jeune femme.

Aux yeux de tous sauf de son frère.
Elle resterait pour lui petite fille encore trois bonnes vies.

« Je t'emmerde Kenny.
- Moi aussi je t'aime ! Faudra sortir le linge de la machine pendant que je serais pas là.
- Ca marche.
- Si tu pouvais vider la poubelle aussi.
- Pourquoi tu le fais pas en sortant ?
- Parce que j'ai une petite sœur formidable pour s'en occuper à ma place »

Et il pinça la joue de Karen qui se dégagea habilement de son étreinte. Elle le foudroya du regard, sans pouvoir réfréner un large sourire.

« Y a des pancakes dans le micro-onde ! »

Et Kenny disparu dans la salle de bain.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 11, 2021 ⏰

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Unique au monde. Bunny Kenny/ButtersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant