A mon cœur, à mon ange, à mon âme,
Si tu savais comme je suis heureux ! Mon frère a accepté, enfin, de te libérer de cette sordide prison d'If !
Je ne pouvais supporter de t'imaginer là-bas, enfermer entre quatre murs, avec l'affreux son du mugissement du vent et des vagues contre la pierre, contre les rochers, je ne pouvais t'imaginer vivant la chose sereinement, tu n'as rien d'un esprit romantique torturé, je sais que tu n'as le goût pour les souffrances et les malheurs.
L'on pourrait s'y tromper, à ta manière de te jeter, éperdu, dans des complots absurdes, à t'encanailler comme si tu cherchais à défier l'autorité, à finir en prison ou pire encore. Mais je te connais trop bien, je sais voir derrière l'apparence de jeune homme insolent. Tu n'as rien de ces créatures qu'on ne voit que dans les romans, romanesques à souhait, qui ne vivent que pour le scandale et la décadence dans laquelle l'on est plongé ensuite.
Je suis si heureux de te savoir libre, j'espère que tu recevras cette lettre quand tu auras déjà franchi le pas de cette affreuse prison !
Mon cœur se tourmentait tant, de ne pouvoir t'écrire, de ne recevoir de mots de toi, j'en étais supplicié, contraint de ne pouvoir qu'imaginer ce que tu subissais là-bas. La simple image de toi, les cheveux défaits, frisottant comme tu le détestes tant, la mine grisâtre et morne, abattu comme un héros tragique, peut-être les fers aux pieds, sans tes habits de soie que tu aimes tant, sans tes rubans, sans tes chausses, j'en avais le cœur brisé.
Je n'avais plus l'appétit à rien si ce n'est aux querelles. Henriette a chèrement payé sa trahison, j'ai été affreux avec elle. Je ne puis être certain que c'est par elle que tu as été arrêté, mais je suis certain qu'elle aura argumenté afin que tu le sois. Elle n'a jamais supporté nos amours, elle nous a toujours jalousés. Et bien de savoir cela, j'étais incapable de la moindre douceur à son égard. J'ai été particulièrement infâme.
Même moi, je ne me supporte plus ! Ton absence me rend dur, méchant, cruel. Je n'aime pas me comporter ainsi, même avec elle. Je le sais bien, qu'elle est la cause de tout ce malheur, que c'est elle qui a provoqué tout cela, et que sans elle, nous serions encore heureux toi et moi, enlacé dans les draps, dégustant des vins italiens, raillant le ridicule de ces courtisans, lisant la dernière pièce de Molière, songeant au prochain opéra que nous irions voir.
Je ne peux continuer ainsi, à être sans cesse de méchante humeur, mes enfants ne comprennent ces cris que nous avons. Sans toi pour m'apaiser, pour consoler mon cœur, je suis tout le temps furieux, et c'est contre elle que je déverse ma colère. Nous nous disputons à longueur de journée pour un rien. Et comme nous n'avons le goût pour la chasse ou les balades en forêt, nous ne cessons de nous rencontrer, de nous heurter, de nous crier dessus.
C'est si épuisant, si éreintant. Que je suis bien aise que mon frère ait fini par céder et qu'il te fasse libérer, je vais pouvoir revenir à Versailles, retourner à la Cour. J'ai si hâte de savoir quelle pièce se jouera à Paris au printemps, si hâte de revoir les jardins de Saint Cloud, de donner de somptueuses fêtes célébrant notre retour. Cela me brise le cœur que tu ne sois à mes côtés, de te savoir si loin de moi.
Je te jure de te rester fidèle, de n'accepter aucun autre amant, de ne voir aucun mignon en ton absence. Je serais sage mon ange, le plus sage et le plus loyal des hommes. Je garderais ton image près de mon cœur, ton portrait que nous avons fait faire par Lebrun ne quittera ma chambre, je t'en fais le serment ! Toi et la vierge Marie me tiendrez compagnie dans mon grand lit dont j'ai chassé mon épouse.
Il lui faudra montrer de la bonne volonté pour y revenir, et je lui ai dit très clairement mon avis sur le sujet, si elle veut la paix en notre ménage, elle devra intercéder auprès du roi pour ton retour. Je supplie déjà mon frère sur le sujet mais sa parole à elle vaudra bien plus que la mienne, hélas.
Ne désespère pas, mon bel amant, mon amour, nous nous reverrons bientôt j'en suis sûr ! Mon frère ne pourra pas me refuser de te voir à nouveau, et s'il le fait, je lui demanderais de m'exiler à mon tour, qu'enfin nous soyons réunis. J'aurais tant aimé m'enfuir avec toi, quand ces mousquetaires sont venus t'arrêter. J'aurais tant aimé avoir cette bravoure. Un jour, mon amour, j'aurais cette force que je t'envie, un jour, nous partirons loin de tout cela, vivre ces folles aventures dont nous rêvions tant.
25 mars 1670, Versailles
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A l'ombre du Soleil
Historical FictionRencontré sur le champs de bataille, le Chevalier de Lorraine a rapidement gagné le coeur de Monsieur, Philippe d'Orléans, le frère de Louis XIV. Mais cet amant insolent, indomptable et passionnant dérange à la cour, particulièrement son épouse jalo...