Chapitre 1 (partie 2)

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Mes ailes...

Je fixais mon reflet dans le miroir de plain-pied accroché dans la salle de bain commune. Une fois de plus, mes pensées dérivèrent vers le garçon de tout à l'heure. Il avait vraiment piqué ma curiosité lorsqu'il avait évoqué le stana. Depuis, je n'arrêtais pas d'y penser.

Il faut vraiment que j'en parle à Elora, je suis sûre qu'elle pourra m'aider à me sortir de ma confusion.

Kris m'avait dit que de son côté de l'orphelinat, les enfants n'avaient pas encore développé leur stana. Cela voulait-il dire qu'il y avait des humains parmi eux ?

Au cours de l'année, nous avions appris ce qui avait mené à la séparation de nos deux mondes. Je veux parler de la séparation de la Terre et de l'OtherWorld, – lieu de naissance de toutes les personnes possédant du stana –.

Il y a plusieurs centaines d'années, les humains avaient comploté dans le dos des Others afin de trouver un moyen d'accaparer leur stana. Ils avaient kidnappé des milliers des nôtres et mené d'atroces expériences sur eux.

Cette pensée me fit frissonner.

Les deux mondes étaient alors entrés en guerre et après de longues et rudes batailles, les Hommes se sont avoués vaincus. Les dirigeants de l'OtherWorld, lassés, avaient décidé de couper tout contact avec ces êtres malsains et de les exiler sur terre.

"Pendant longtemps, nous n'étions plus que pour eux des personnages de mythes et de légendes. Jusqu'à il y a une cinquantaine d'années..." avait annoncé le prof d'histoire.

Il y a un demi-siècle, quelques humains se souvenant de notre existence avaient réussi à rouvrir le portail vers l'OtherWorld et à s'y introduire. Depuis, la guerre faisait à nouveau rage dans l'OtherWorld.

Les enfants qui vivaient ici étaient en quelque sorte des "victimes de guerre", des jeunes dont les parents étaient partis au combat ou avaient disparu. Tant que nous restions à l'orphelinat, nous étions en sécurité. Les adultes nous protégeaient et de toute façon, l'endroit se situait dans un coin reculé et calme de l'OtherWorld. Nous n'avions jamais dû faire face à l'ennemi.

Je n'avais jamais rencontré d'humain et cela me convenait très bien. Ils n'avaient pas l'air d'être des personnes très respectables pour venir ainsi troubler la paix qui régnait chez les Others. J'avais d'ailleurs bien compris que la plupart de nos professeurs ne les tenaient pas en estime.

"Les humains sont des êtres inférieurs et ne méritent pas leur place parmi nous." avait même ouvertement dit Mr Adams.

Il était vrai que leur intelligence à 10 ans était bien inférieure à la nôtre au même âge.

Parmi les Others, on distinguait trois grandes espèces: les elfes, les semi-humains et les sahels, un peuple descendant de mariages entre elfes et humains datant de plus de mille ans.

Je ne savais pas du tout à quelle espècej'appartenais.

"Tu es une Toli, mi-humaine, mi-oiseau" m'avait dit le directeur. Pourtant je n'en étais pas convaincue.

Je n'avais jamais vu de Toli affublée d'une paire d'ailes comme la mienne.

D'une couleur bleu pâle, elles avaient plutôt la forme d'ailes de dragon, mais au lieu d'être rudes et écailleuses, elles étaient recouvertes d'un fin duvet aussi doux que le pelage d'un chaton.

Et mon stana ne s'arrêtait pas là puisque j'avais également une capacité de guérison assez impressionnante. Une petite coupure se refermait presque instantanément et lorsque je m'étais cassé le bras le mois dernier à la suite d'un atterrissage raté, je n'avais pas dû attendre plus de 24 heures pour pouvoir m'en resservir normalement.

L'autoguérison était plutôt une capacité propre à certains sahel...

Mais bon, je ne connaissais rien de ce qu'il y avait en dehors de l'enceinte de l'orphelinat alors je me faisais peut-être simplement des idées.

Je soufflais en quittant la salle de bain et rejoignais les autres filles dans le dortoir. Je savais bien que je me prenais trop la tête, mais j'étais comme ça et je n'arrivais pas à changer ce point qui me déplaisait.

Elora rangeait quelques affaires dans sa commode. Mon amie était une elfe, de même que Diane, la fille qui occupait le lit superposé au-dessus du mien.

— Elora, je peux te parler une minute ?

Je l'entraînais vers l'escalier menant au toit.

La nuit était claire et douce. J'aurais bien aimé déployer mes ailes pour aller frôler les étoiles mais le dôme de protection de l'Orphelinat et du domaine qui l'entourait empêchait quiconque d'entrer ou de sortir. Et il rasait presque les toits des bâtiments. Dommage pour tous ceux qui rêvaient de s'envoler dans le vaste ciel.

— J'aimerais tellement alors dehors, murmurais-je inconsciemment.

—- Tu sais bien que le dôme est là pour nous protéger, me dit Elora. Et puis on n'est pas à l'étroit avec les champs et les forêts autour de l'école...

— Oui je sais et "nous ne pouvons pas sortir car c'est dangereux", ironisais-je en répétant les dires du directeur, Mr. Wilkerson.

Je me tue. Je ne pouvais m'empêcher de trouver que ces mots sonnaient faux.

— Bon alors, que voulais-tu me dire ? Continua Elora, ne remarquant pas ma confusion. À moins que tu veuilles simplement que nous observions les étoiles ?

— Non, je voulais te parler de ce qui s'est passé ce midi. J'ai rencontré un garçon avec des cheveux bleus qui...

Je rougis, me rendant compte des sous-entendus que pouvait contenir ma révélation.

— Tu sais, je me doute bien que par "rencontrer", tu veux simplement dire que t'es tombée sur un gars avec qui tu as discuté mais rien de plus.

Qu'est-ce qu'elle est perspicace quand même !

— Oui c'est ça ! Enfin bref, il venait de la zone Nord, celle où on n'a pas le droit d'aller...

J'étouffais le "non-plus" qui me brûlait les lèvres.

— Et il m'a dit que de son côté, personne n'avait encore de stana, tu ne trouves pas ça bizarre toi ? continuais-je.

— Je dirais plutôt que ça explique certaines choses. Les profs savent très bien que si les élèves ne développent pas de stana, ils risquent de ne pas bien s'intégrer. C'est sûrement pour ça qu'ils sont séparés de nous et que nous n'avons pas le droit de franchir le mur. Si la bande de Vago apprenait que ceux de la zone Nord sont sans défense, et s'ils ne risquaient pas d'être punis en passant le mur, ils se feraient un plaisir d'aller les embêter.

— Tu as sans doute raison. N'empêche que j'ai l'impression que quelque chose ne tourne pas rond ici... On ne connaît rien de ce qu'il y a en dehors de ces murs à part ce qui est écrit dans les livres. On est censés être à l'abri du danger et pourtant on nous entraîne durement au combat...

C'était la première fois que j'exprimais mes doutes à voix haute et je me sentais soulagée de l'avoir fait. Je pensais qu'Elora allait de nouveau me contredire, mais elle n'en fit rien.

— Tu passes un peu du coq à l'âne... Tu penses que les professeurs nous mentent ?

À vrai dire, ça ne m'avait même pas effleuré l'esprit. Je me posais juste des questions sans avoir la moindre hypothèse pour y répondre. Comme je ne répondais rien, elle continua:

— Je pense que nous ne devrions pas nous poser trop de questions pour le moment et plutôt nous concentrer sur les examens de fin de trimestre qui arrivent. Je sais que ça peut paraître loin, mais dans tous les cas, dans deux ans nous serons fixées puisque nous devrons quitter cet endroit. Nous pourrons nous faire notre propre avis sur le monde.

Rassurée par ses propos, je continuais à discuter avec mon amie un temps avant de redescendre dans le dortoir. Tout le monde dormait déjà alors que nous rejoignions discrètement nos lits.

OtherWorld - 1. Et cognoscetis veritatemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant