Chapitre 2 : Filature

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Mozart, bien installé dans son nouveau bureau, une plume à la main et une feuille de partitions devant lui, était pourtant concentré sur autre chose. Il avait stratégiquement placé son bureau en face de la porte, qu'il laissait ouverte afin de pouvoir observer Salieri lorsqu'il faisait des déplacements, ou bien quand il devait utiliser les instruments de la pièce centrale. Le blond voulait tout connaître des habitudes de Salieri, et il l'épiait le plus souvent possible. Actuellement, le maître de la chapelle était adossé à la porte de son bureau, en pleine conversation avec une personne que l'autrichien ne connaissait pas. L'inconnu finit par partir, et le maestro s'enferma dans son bureau. Wolfgang soupira, il était si souvent dans cette salle, seul, que l'observer était une opportunité rare. De plus, l'italien prenait grand soin d'ignorer son cadet, ce qui ne l'aidait pas non plus. Il laissa son regard dériver dans le bureau, qu'il avait personnalisé à ses goûts. L'endroit était toujours en désordre, mais débarrassé de toute la poussière. Les étagères étaient remplies d'instruments ou de bibelots que le blond aimait, les sofas séparés d'une table basse, initialement prévus en cas de visite, servaient finalement de porte-vêtements pour les nombreux habits colorés du musicien et les chaises qui faisaient face au bureau de Wolfgang avaient la même utilisation. Le jeune homme, pas gêné le moins du monde par l'agencement de la pièce, se fit la réflexion qu'il n'était pas très loin d'emménager dans le lieu. S'il y avait eu une salle de bain à proximité, il aurait même probablement déjà fait de ce bureau son appartement, la présence de nourriture sur la table basse en témoignant. Perdu dans ses pensées, il faillit ne pas remarquer Salieri qui sortait de nouveau pour rejoindre le couloir. Mozart se leva alors pour le suivre le plus discrètement possible. L'italien parcourait les couloirs d'une démarche rapide, ne s'arrêtant que pour saluer les nobles qui venaient à sa rencontre. Il était si rigoureux de son rang, si minutieux dans son attitude. Chacun de ses gestes était d'une élégance précise et d'une maîtrise totale, de son corps comme de son esprit. La seule fois où Mozart l'avait vu abandonner cette allure professionnelle, c'était le jour où il avait entendu sa musique. Il avait alors perdu tout contrôle de soi, et l'autrichien avait vu le désir et le chaos briller dans ses yeux. Et c'était précisément ce qu'il désirait revoir. Son unique but était de le faire plier à sa volonté, pour le voir hésiter et perdre la tête, sous son autorité. Il voulait le soumettre. Une femme s'inclina devant le maestro, et Wolfgang se cacha derrière un rideau pour l'observer. Son interlocutrice était vraiment charmante, mais Salieri était-il un homme séducteur ? Ou bien réservait-il son cœur comme son corps à une élue en particulier. Tandis que le maître de la chapelle embrassait la main de la jeune femme, le jeune virtuose tendit l'oreille pour écouter.
- Me voilà bien flattée de pouvoir enfin converser avec vous, maestro. Votre réputation est impressionnante, mais en vous voyant en face, je constate qu'elle est loin de vous rendre hommage.
- Ma réputation, madame ? Mais, vous n'avez fait que me saluer, vous n'avez pour l'heure ni d'aperçu de ma conversation, ni de ma musique. De quelle réputation parlez-vous donc ?
Le jeune femme gloussa, amusée par la naïveté de son interlocuteur, puis, elle combla l'espace entre eux et posa une main sur sa joue, le regardant dans les yeux.
- Monsieur, votre talent n'est pas la seule chose que l'on raconte à votre sujet... Je parlais de ce qu'on dit de vous, physiquement.... Vous êtes encore plus bel homme que ce que les rumeurs disent.
Salieri sembla soudainement bien mal à l'aise, et il recula, rompant le contact et s'inclinant.
- Merci pour le compliment, madame. Je dois vous laisser, j'ai encore du travail.
Derrière sa cachette, Wolfgang ricana doucement. Il n'était décidément pas comme les autres hommes. Décidé à ne pas le laisser filer, il continua à le suivre. Quelques minutes plus tard, le compositeur se retrouva face à une autre de ses admiratrices. Mais celle ci fut bien moins courtoise que la première, profitant d'être dans un coin plus sombre d'un couloir peu emprunté, elle s'était abandonnée dans les bras de l'homme, qui, par politesse, l'avait attrapée pour qu'elle ne tombe pas. Mais, pris au piège par cette décision, il ne savait comment la dégager, et elle en avait profité pour se coller à lui, levant sa jambe si haut qu'elle en entoura la taille gracile d'Antonio, tout en commençant à embrasser son cou, lui susurrant la force de ses sentiments à son égard. Mozart se demanda s'il allait assister à une scène érotique, et il trouva l'idée très amusante, même s'il aurait préféré être au premier plan, à savoir à la place de la demoiselle. Mais Salieri ne semblait pas intéressé, et il finit par réussir à repousser la dangereuse créature qui s'accrochait à lui. Sans lui adresser une seule parole, il décida de rebrousser chemin. Il ne comprenait pas pourquoi, à chaque fois qu'il sortait récupérer un document, il était accosté ainsi. Il savait bien que sa position serait favorable pour une éventuelle épouse, mais il aurait apprécié des approches plus subtiles, et moins envahissantes pour son espace personnel. Inconscient d'être épié, il retourna dans son bureau, évitant les lieux fréquentés pour ne croiser personne, et il se passa une main lasse dans ses cheveux avant de refermer la porte pour être enfin seul. Une fois l'homme de nouveau enfermé sur lui même, Wolfgang retourna dans son propre bureau, réfléchissant. N'importe qui d'autre aurait cédé aux avances de ces femmes, elle étaient sublimes. Mais l'italien semblait insensible. Et pour l'avoir observé sous toutes les coutures, il était certain qu'il ne portait aucun anneau autour de son annulaire. Un sourire étira les lèvres de l'autrichien. Et si Antonio Salieri était... Voilà qui devenait vraiment très intéressant. La partie s'annonçait encore plus palpitante qu'il ne l'avait prévu.

Mozalieri - Un jeu inavouableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant