Chapitre 17 : Plaisanterie

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Antonio était épuisé et affamé. Il était arrivé tôt au palais, négligeant le premier repas de la journée, tout comme celui de la veille. Et sa nuit avait encore été troublée. Il n'avait fait que ressasser ce qu'il s'était passé avec Wolfgang, et ça l'avait empêché de trouver le sommeil. Il ne regrettait pas, au contraire, mais il n'arrivait pas à sortir le blond de son esprit. Par chance, il y avait dans son bureau un plateau de fruits, et il se réjouit d'avoir eu l'idée d'en placer un. Il laissa la porte ouverte, laissant l'air circuler dans la pièce, et saisit le premier aliment qui tomba sous sa main, une banane, qu'il éplucha lentement. Il savait que Mozart ne serait pas là avant le début d'après-midi, comme à son habitude, aussi ne pensait-il pas rester enfermé dans son cabinet en l'attendant. Il approcha le fruit de ses lèvres tout en fixant le piano, perdu dans ses pensées, ou plus exactement ses souvenirs récents comportant l'instrument, l'autrichien et lui même. Une voix murmura alors à son oreille.
- J'apprécie que vous vous exerciez, maestro, mais me voilà jaloux d'une banane.
L'italien sentit le fruit se coincer juste avant que ses dents ne le tranchent, et il s'étouffa avec le morceau, trop gros pour glisser dans sa gorge. Aussitôt, l'autrichien lui tapota le dos, l'aidant à faire passer la nourriture pendant qu'il toussait, et quand il put de nouveau respirer, le blond sourit doucement.
- Vous ne devriez pas vous surestimer dès le début, prenez le temps de vous entraîner sur moins long.
Antonio sentit ses joues le brûler. L'impertinent arrivait à donner une image obscène même au fait de manger un fruit, il avait décidément l'esprit plus que débauché. Lui jetant un regard noir, il répondit enfin.
- Vous n'êtes pas obligé de me faire part de vos pensées salaces.
- Admettez que vous ne m'aidez pas avec ceci, se justifia le plus jeune en désignant le fruit, encore dans les mains du musicien.
Salieri roula des yeux, et Mozart se mit en face de lui, lui prenant des mains. Le compositeur ouvrit la bouche pour lui demander ce qu'il faisait mais dès qu'il entrouvrit les lèvres, Wolfgang y glissa la banane avant de la faire lentement coulisser dans sa bouche, faisant avec le fruit des mouvements de va et vient. Le visage de l'italien devint cramoisi, et, après de lentes secondes, le blond retira l'aliment de sa bouche pour le lui rendre.
- Maintenant, c'est vous qui avez des pensées salaces, maestro.
Et, après lui avoir fait un clin d'œil, il partit dans son bureau en riant.

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Les deux musiciens, côte-à-côte sur le banc, jouaient leur composition pour la première fois devant un public. Et quel public. L'empereur lui même, et ses invités les plus prestigieux, réunis pour une soirée privée au sein du palais. Salieri était tiraillé entre deux sentiments, la plénitude complète que leur musique, si belle, formait en lui, et la crainte que son partenaire n'agisse dans le but de le taquiner une énième fois. Mais Mozart semblait calme pour l'instant, et il se contentait de montrer toute l'étendue de son talent. Quand le morceau se termina, les convives applaudirent avec enthousiasme, les félicitant pour cette symphonie magnifique. Fidèle à lui même, Wolfgang offrit alors un sourire fier et amusé, ainsi que des clins d'œil multiples à leur public. Salieri s'était contenté d'incliner la tête pour remercier les nobles présents de leur écoute. Il la releva pour regarder Wolfgang, et croisa alors ses yeux pétillants de joie. Il se noya dans ces iris sublimes, et l'autrichien dut le remarquer puisqu'il lui sourit doucement avant de rire discrètement. Le maître de la chapelle revint à la réalité et il se leva du banc pour aller chercher une coupe de vin. Il buvait une première gorgée du breuvage alcoolisé quand Mozart apparut soudainement devant lui. Surpris, il avala de travers et toussa pendant quelque secondes avant de reporter son attention sur le jeune impertinent qui envahissait son espace vital.

- Maestro, je me permets de vous avertir de prendre garde à votre consommation de vin. La dernière fois, vous aviez été excessif. Enfin, si ça finit de la même façon, je devrais peut être vous encourager à boire tout compte fait.

Antonio eut toutes les peines du monde à ne pas réagir en se rappelant de ce qu'il s'était passé. Il baissa alors la tête pour fixer le sol en silence. Voyant sa réaction, qu'il imaginait due à la présence des nombreux bourgeois autour d'eux, le blond reprit la parole pour amoindrir son embarras.

- Comment avez-vous trouvé notre prestation ? Ai-je été suffisamment professionnel, maestro Salieri ?

L'italien releva la tête pour le regarder. Son cadet le fixait maintenant avec un air innocent et un sourire sincère.

- C'était parfait, Mozart. Pour une fois, vous vous êtes comporté comme il faut. D'ailleurs, ça me surprend assez. Dois-je craindre quelque chose pour la suite ?

- Oh non, je n'y penserai pas. En revanche, j'admets espérer être récompensé pour avoir été sage durant toutes les festivités.

Le maître de la chapelle soupira.

- La soirée n'est pas finie, ne vous avancez pas trop vite. Soit. Que voulez-vous ?

- Monsieur, reprit Wolfgang avec un air soudainement inquiet, je ne réclame rien. Je serai docile en présence de ces invités prestigieux quelle que soit votre réponse. Ne croyez pas que j'essaie de vous faire chanter surtout... Mais si vous le voulez bien, j'aimerais seulement pouvoir bénéficier d'un peu de votre temps libre. J'apprécie votre compagnie, maestro.

Perturbé par sa demande insouciante, et par son regard plein de candeur, Salieri déglutit, sans répondre. Il finit par reculer d'un pas avant d'articuler lentement.

- Je vais y réfléchir.

Il s'éloigna ensuite de lui, vidant sa coupe d'une traite. Pourquoi les interactions avec l'autrichien continuaient de lui faire autant d'effet, même après tout ce qu'il s'était passé. Pour effacer son trouble, il fit ce qu'il faisait toujours dans les fêtes, il enchaîna les coupes de vin tout en essayant d'esquiver les conversations avec la noblesse de Vienne. Wolfgang garda un œil discret sur lui, mais il ne chercha pas à le suivre ou à l'importuner, sachant que ça ne lui plairait pas. Fidèle à lui même, il attira l'attention sur lui avec brio, adorant être une lumière parmi les invités. Applaudi, adulé par tous ces bourgeois, il avait l'impression d'avoir réussi à accomplir ses rêves. La musique était sa vie, et le succès son salaire.

Mozalieri - Un jeu inavouableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant