DIES IRAE - Cycle I : L'Angicide

Acte V, 14e Épître - Prise de position

Ben et Chris discutaient depuis bientôt une heure. L'aîné avait fini par céder face à l'insistance de son cadet et s'était lancé dans le récit de ses déboires depuis que ses pouvoirs s'étaient éveillés. En énumérant tout ce qui lui était arrivé, Maners prenait conscience du chemin parcouru et de la chance qu'il avait d'avoir été épaulé par tant de personnes en cours de route. Avant, il était trop occupé à survivre au jour le jour et à surmonter son deuil pour s'adonner à l'introspection. Chris quant à lui n'en revenait pas que son frère ait subi de telles épreuves, et s'il ne le connaissait pas si bien, il aurait probablement douté de sa santé mentale. Des anges ? Des démons ? Un être entièrement constitué de ténèbres ? Et maintenant Lucifer en personne ? Non, très franchement, une histoire pareille semblait invraisemblable...! Mais pourtant, au plus profond de lui, il lui paraissait entendre une petite voix lui soufflant que tout était vrai.

            Arrivé à la fin de sa chronique, Ben laissa échapper un soupir, comme si raconter en détail toute cette affaire l'avait soulagé d'un poids. Le silence s'installa, tandis que les deux frères regardaient par la fenêtre, et ce fût à cet instant que l'aîné aperçut une ombre passer au-dessus de l'immeuble, suivi par la vision d'une plume d'un blanc immaculé virevoltant délicatement en direction du sol. Il comprit alors qu'un visiteur l'attendait sur le toit, et que l'heure des adieux était venue. Il prit congé de son frère, lui promettant de lui donner des nouvelles dès qu'il le pourrait, et il ouvrit en grand la fenêtre coulissante.

« - Mais qu'est-ce que tu fous ?! demanda Chris, légèrement paniqué.

- Avant de partir, je voulais te montrer un truc qui va te rendre fou, petit frère, répondit-il en souriant, sautant du rebord pour réapparaître aussitôt, flottant dans les airs par les flammes qui sortaient de ses paumes. »

            Abasourdi, le jeune Maners restait bouche bée devant l'image de son frère suspendu dans l'atmosphère, s'envolant lentement vers le sommet du bâtiment. Ben y retrouva Michaël, qui l'attendait les bras croisés et l'air grave, le soleil déclinant se réverbérant sur la surface parfaitement polie de son armure dorée. A peine eut-il posé pied à terre que le Séraphin le questionna sur son départ soudain de l'hôpital central de Brooklyn.

« - Vous me devez, je crois, une explication, Ben Maners. Vous ne pouvez point m'annoncer vouloir rester neutre dans les affaires personnelles de mes semblables, et l'instant d'après, disparaître comme par enchantement en usant des dons spécifiques de mon prédécesseur...

- Je pensais chaque mot que je vous ai dit, Michaël. Et croyez bien que cette disparition n'était en aucun cas volontaire de ma part.

- Vous niez donc toute implication de Mestre Lucifiël dans vos déplacements inexpliqués aux quatre coins de cette cité que vous nommez New New York ?

- Eh bien... Pas tout à fait, mais...

- Le doute persiste donc, Ben Maners : devenons-nous nous fier à vos paroles ou à vos actes ?

- Je pense que vous êtes bien placé pour savoir que les choses ne sont pas forcément ce qu'elles semblent être, et que parfois, les circonstances choisissent pour nous le chemin à suivre, même s'il va à l'encontre de notre désir premier...

- Des paroles non seulement pompeuses, mais surtout des plus importunes. J'ignore ce qu'à bien pu vous raconter Mestre Lucifiël pour vous amener à croire que nous ayons quelque chose en commun, mais je puis vous assurer que nos existences ne peuvent pas être plus éloignées qu'elles ne le sont.

- Vraiment ? Votre histoire avec Satiël ? Le désespoir qui vous a envahi quand elle a été bannie ? Votre ralliement à la cause de Lucifer...

- La plaisanterie a des limites, Ben Maners, et vous êtes en train de les franchir au-delà de toute raison ! La seule histoire existante entre ce gredin de Satan et moi n'est que fantaisie issue de son esprit torturé ! Une escobarderie n'ayant pour unique objectif que de me troubler et de se jouer de moi ! Quant à Mestre Lucifiël, il a agi seul lorsqu'il s'est révolté contre notre Très Haut Père, et croyez bien que si j'avais été au courant de ses intentions, je me serais dressé devant lui avant même qu'il ne franchisse les portes du Palais !