Mercredi, 16h18 [Lou]

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Mercredi, 16h18

Lou

« Comment ça mon demi... mais je le saurais si j'avais un frère non ? T'es qui d'abord ?

— Est-ce qu'on peut en discuter dans un endroit tranquille ? » tente-t-il de me calmer.

J'essaie de reprendre mon souffle. Inspirer, expirer. Je le regarde droit dans les yeux.

Et si je n'étais pas enfant unique ? Et si ce qu'il disait était vrai ? Et si...

« Bon, euh, on va vous laisser, me souffle Elsa. Tu nous raconteras, ok ?

Je hoche la tête en guise de réponse, et je les regarde s'éloigner d'un œil distrait.

« On va aller dans le parc d'à côté, concédé-je.

— Merci. Vraiment, merci. »

Une fois assis sur le banc, Brian déverse aussitôt toute son histoire.

« Donc, comme je te l'ai déjà dit, je m'appelle Brian. Brian Belvot. J'ai été abandonné à ma naissance par ma mère, Agnès Sambré. »

Je sens mes mains se crisper dès qu'il prononce le nom de ma mère. Mais je le laisse continuer.

« Enfin, je ne sais pas si abandonné est le mot exact. Elle et mon père n'étaient plus ensemble quand elle a appris qu'elle était enceinte. Elle avait prévu d'étudier à Paris, lui à Nice. Ce n'est pas la porte d'à côté. Ils ont conclu que ce serait mon père qui m'élèverait, seul. Elle n'a jamais donné signe de vie. Peut-être que c'était dans le contrat, peut-être qu'elle n'y était pas autorisée aux yeux de la loi... je n'en sais rien. Bref, mon père est mort il y a quelques semaines d'un AVC. »

Je sens mon pouls se calmer dès qu'il prononce cette phrase. Serait-ce de la pitié ? De la compassion ?

« On n'était pas riche, poursuit-il. Je n'avais plus de quoi payer le loyer de notre appart'. Donc j'ai cherché le nom de maman sur internet. Coup de chance – ou pas, je l'ai trouvée. Le lendemain de mon arrivée ici, je t'ai vue sortir de la maison. Je ne sais pas vraiment ce qui m'a pris... mais je t'ai suivie, avoue-t-il. Un mélange de jalousie et de curiosité, sans doute. Et... c'est comme ça que j'en suis arrivé là ».

Il se désigne lui-même, d'un geste nonchalant. Je ne réponds rien pendant quelques secondes. Ce qu'il dit paraît... plausible. Mais je sens mon estomac retourné et ma gorge nouée. Je retiens mes larmes. Ma mère ne m'en avait jamais parlé. Je ne sais pas si mon père est au courant.

Mais quand je vois ce garçon, tout semble s'éclaircir. Les ressemblances, le sentiment d'être suivie, le manque que j'éprouve de ne pas avoir de frère ou de sœur. C'est peut-être lui, la pièce manquante du puzzle. Ce vide que je ressens dans mon cœur chaque fois que je me lève le matin. La personne que ma main attendait de tenir lors des promenades en forêt. Celle qui laisse une place libre sur le canapé du salon.

« Je te crois. », finis-je par articuler.

Je vois ses yeux s'éclaircir, ses lèvres se retrousser en un demi-sourire.

« Il va falloir qu'on en parle à maman, continué-je. Je te ramène à la maison.

— Merci beaucoup. Désolé de débarquer comme ça, sans prévenir ni quoi... j'appréhende un peu, finit-il par dire.

— De la voir ?

— Oui. De sa réaction.

— Je serai là. T'inquiète pas », tenté-je de le rassurer.

Le trajet jusqu'à la maison se passe sans un mot de plus. Au fur et à mesure qu'on se rapproche, je vois les jambes de Brian trembler davantage.

Je sonne. Ma mère vient ouvrir. Je le sens se raidir derrière moi.

« Coucou ! Ben alors Lou, c'est qui ce beau garçon que tu nous ramènes ? » demande-t-elle gaiement.

Brian ne bouge pas. Ses mains tremblent légèrement, une goutte de sueur perle à son front. Je m'apprête à répondre quelque chose. Je m'arrête aussitôt lorsque j'entends finalement sa voix derrière mon épaule :

« Bonjour, Maman. »

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