Mon inconnu manquant

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Je regarde à travers la fenêtre de la voiture, et je vois la mer. J'imagine le bruit des vagues. Mes parents conduisent et leurs disputes envahissent une énième fois l'espace sonore. Je garde les yeux grands ouverts, pour ne plus entendre. Je continue de regarder au loin. J'essaye de me transporter loin d'ici, dans ma tête. Le vent fouette mon visage. Je sens le sel. Et je me concentre sur cette sensation qui emplit mon cœur.

On m'a dit que les enfants ne peuvent pas ressentir la nostalgie. Je me demande ce que peut donc être ce sentiment. Cette sensation de manquer quelque chose... quelqu'un plutôt. Un poids lourd dans la gorge, un vide dans le thorax, mon cœur qui se sert, et une envie irrépressible de revenir en arrière. Et ce depuis aussi loin que je m'en souvienne.

Un bout de toi, cher inconnu qui a dû illuminer une ancienne vie. Comment vas-tu ? J'espère que... tu vas bien. Mieux que moi en tout cas. De mon côté, la vie m'est parfois insupportable. Haha. Comme l'impression d'être enfermée. Je rêve quand je le peux. À l'instant même, je rêve d'arracher cette ceinture, ouvrir cette portière en grand et sauter. Rouler sur le bitume, et ressentir la douleur. Pour me rappeler que je vis. Je devrais alors me relever à toute vitesse, pour ne pas me faire écraser, et courir sur le trottoir en boitant. Je saignerai probablement du genou : je porte un short. Et alors, je courrai, loin. Je déboulerai sur la plage les joues mouillées. Je manquerai probablement de me vautrer. Et je continuerai à courir, toujours plus loin, vers la mer. Les vagues. Une fois sur le sable froid et mouillé, je m'arrêterai, lèverai la tête face au vent. Et je sourirai pour de vrai. Et je pleurerai pour de vrai. Comme le nouveau-né, j'emplirai mes poumons brûlants, et je crierai. Puis je reprendrai la marche, vers le sud. Je longerai la mer, et ne m'arrêterai jamais de marcher.

Drôle de rêve. De quoi rêves-tu, toi ? Est-ce que tu sais comment t'exprimer ? Et te souviens-tu mieux que moi de ces temps passés ? Je ne me souviens de rien, si ce n'est cette pièce manquante dans mon corps. Mais je m'amuse souvent à l'imaginer. Je ne pense pas que la vie alors était plus facile qu'elle ne l'est maintenant. Ou bien ce n'était pas sur cette planète, ou même... cet univers ? Wow, j'aime cette idée. Nos âmes se seraient liées dans une autre vie, d'un autre univers. Cette vie que je vis je l'ai déjà vécue, ce n'est qu'un passage de la boucle infinie qu'est notre existence. Elle se répète encore et encore. On se sépare et on se retrouve.

Dans un autre univers nous étions des oiseaux, des princes et aventuriers, des tyrans sanguinaires ou des amoureux transis. Et à chaque fois nous nous retrouvions. Mais je me demande, vu ce vide que je ressens, si je pourrai te retrouver dans cette vie ? Ce vide est-il synonyme juste d'un manque ou d'une absence totale de ce monde ? Vais-je devoir traverser cette vie sans jamais te rencontrer ?

J'aime imaginer que je te reconnaîtrai au premier regard. Mais c'est parce que j'ai peur que ce ne soit pas le cas. Que je ne te reconnaisse pas, et que je reste avec ce vide toute ma vie. Cette nostalgie d'une précédente histoire ressentie par une enfant dès son plus jeune âge.

Mais je rêve, je rêve, et si ça se trouve, j'ai juste un problème. Tu n'as jamais existé, dans quelque monde que ce soit. Si ça se trouve, il me manque quelque chose qui n'a jamais existé, je ne vivrai jamais qu'une seule fois dans cet infini de poussières. Jamais d'autre vie que cette triste la qui m'arrache chaque espoir et chaque joie de jour en jour. Mais... je n'ai pas envie d'en arriver là.

Encore une fois, je regarde par la fenêtre de la voiture, lors d'un de ces énièmes pénibles trajets, de cette pénible vie, en rêvant de me libérer. Encore une fois je vais devoir être patiente, en espérant que les choses iront mieux. Je vais devoir prendre sur moi-même et me lever toute seule, me construire toute seule, et aider d'autres à me comprendre, toute seule. Encore une fois je te parle, mon bel inconnu. Que tu existes ou non, tu restes ma source d'espoir. Car si je suis nostalgique d'un passé d'avant ma naissance, c'est que j'ai dû être heureuse à ce moment. Car si j'ai pu être heureuse à tes côtés dans une autre vie, je devrai pouvoir l'être dans celle-ci. Et je vais te faire une promesse : je vais continuer à grandir. Je vais me construire, toute seule. Je vais me sauver, toute seule. Je vais trouver un, non, des endroits où je me sens moi, pour être heureuse et me sentir complète à nouveau. À ce moment, je pense que je pourrai enfin te rencontrer. Et si tout comme moi tu as pu ressentir cette pièce manquante, cette nostalgie enfant que seuls les adultes peuvent avoir, je t'aiderai.

J'espère que tu me reconnaîtras. Et même si cette vie n'est pas idéale, nous la vivrons au possible. Parce que si la vie est un cercle infini, et que nous sommes des amas de poussières qui se retrouve tous les tri milliards d'années, être la moi d'aujourd'hui est une chance inouïe. Autant que cette chance compte.

Peut-être que la réalité est moqueuse, et que cette vie-là, tu seras une fleur, un arbre, une vague. Tu seras peut-être même plusieurs personnes et choses à la fois. Je profiterai. Je prendrai soin de toi. Quand j'y pense, dans cet amas d'univers infinis te retrouver serait encore plus une chance inouïe. Je serai finalement la personne la plus chanceuse de l'existence. Alors autant que cette occasion compte.

Mon doux inconnu, mon être manquant, tu me manques. Je t'aime.

Mon Inconnu manquantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant