Les fées

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Il était une fois une veuve qui avait mauvais caractère. Elle avait deux filles: l'aînée s'appelait Fanchon et avait le même tempérament que sa mère, elle était paresseuse et méchante. Elle était spécialement malveillante envers sa soeur Rose, qui était d'une nature si douce et si gentille que les gens se demandaient comment elles pouvaient être soeur.
La veuve préférait sa fille aînée. Non seulement elles avaient le même caractère, mais Fanchon et sa mère avait la même ambition: devenir une grande dame. La veuve n'était pas riche mais elle dépensait tout l'argent qu'elle gagnait pour Fanchon. Celle-ci avait toujours le meilleur de tout et était si gâtée par sa mère qu'elle ne faisait jamais rien dans la maison.
Rose, au contraire, était traité comme une servante. Elle portait les vêtements usés de sa sœur, nettoyait les grilles du foyer et frottait les planchers. Chaque matin, elle faisait un ou deux kilomètres pour aller chercher l'eau au puits du village. Mais, malgré le dur travail qu'elle accomplissait, elle restait douce et gentille.
Un matin, à l'aube, Rose partit comme d'habitude avec sa cruche. Quand elle arriva au puits, elle eut la surprise d'y voir une vieille femme. Ses épaules étaient voûtées et son châle en loques.
Rose lui sourit en remplissant sa cruche.
-Peut tu me donner de l'eau de ta cruche? Demanda la femme.
-Bien sûr, dit Rose, buvez toute l'eau que vous désirez. Asseyez vous, Madame, et reposez-vous.
La vieille femme était en réalité une fée. On lui avait tellement parlé de la gentillesse de Rose qu'elle avait voulu voir par elle-même si c'était vrai.
Après avoir bu l'eau, la fée dit à Rose: -Tu es aussi bonne qu'on le dit. Je ne suis pas déçue. Je voudrais te faire un cadeau.
Rose, évidemment, ne savait pas que c'était une fée et elle dit rapidement: -Je ne veux rien Madame. Non, ne me donnez rien, je vous en prie. C'était une simple gentillesse.
Mais la fée reprit: -Pour cette simple gentillesse, je veux te donner un cadeau précieux. Dès que tu ouvriras la bouche pour parler, des fleurs et des bijoux tomberont de tes lèvres.
Rose reprit en souriant sa cruche et revint chez elle, pensant que la pauvre vieille femme ne savait pas ce qu'elle disait. Sa mère l'attendait au fond du jardin et se mis à crier quand elle la vit:
-Paresseuse! Bonne à rien! Je parie que tu as bavardé. Le feu est éteint et ta soeur attend que tu fasses ses chaussures...
-Je suis désolée, j'ai rencontré...commença Rose, mais elle s'arrêta car des fleurs parfumées et des rubis jaillissaient de ses lèvres sur le sol.
Sa mère se baissa et se hâta de ramasser les rubis, car les fleurs ne l'intéressaient pas. Rose la regardait, trop stupéfaite pour parler, et se souvenait clairement des paroles de la vieille femme.
-Ce sont de vrais rubis! S'écria la veuve. Qu'est ce que cela signifie? Et au lieude donner une claque à Rose comme c'était son intention, elle la pris par le bras et la poussa dans la maison. Rose lui raconta sa rencontre avec la vieille femme. Et pendant qu'elle parlait, des fleurs et des pierres précieuses tombaient de ses lèvres et jonchaient la table de la cuisine.
-Tu es sous le charme d'une fée, mon enfant, s'écria la mère. Elle pâlissait d'envie en voyant toutes ces pierres précieuses.
-Pourquoi faut-il que ce soit toi qui ait cette chance? Si seulement c'était ma Fanchon chérie! Elle appela sa seconde fille et lui cria de venir dans la cuisine.
Quand Fanchon vit les bijoux et entendit l'histoire, elle pinça violemment Rose: elle mourrait de jalousie. Sa mère lui dit:
-Comment faire pour que tu obtiennes la même chose?
-Ne me demande pas de faire un kilomètre à pied jusqu'au puits! dis Fanchon. Je pourrais abîmer mes chaussures en marchant sur une route si dure.
-Mais il faut que tu y ailles! s'écria sa mère. Demain matin, tu iras chercher de l'eau au puits. Si tu vois cette vieille femme aux épaules voûtées et au châle, fait tout ce qu'elle te demande. Et elle te remerciera de la même façon que ta soeur.
Le lendemain matin, aidée par sa mère, Fanchon se leva de bonne heure. -Que c'est pénible, grommelait-elle, pendant que sa mère l'aidait à mettre sa plus belle robe. Tu sais que je déteste marcher.
-Ça ne fait rien, pense à la récompense, lui dit sa mère.
-Je ne veux pas de la cruche très ordinaire que prend Rose, dit Fanchon quand elle fut prête. Je vais prendre le grand vase d'argent. Les gens verront ainsi que je ne suis pas une servante.
Quand Fanchon arriva au puits, elle avait une figure bien renfrognée; ses chaussures la serraient et le vase était lourd. De plus, elle était si paresseuse que tout exercice la mettait de mauvaise humeur. Pour aggraver les choses, il n'y avait pas trace de la vieille femme près du puits. Par contre, il y avait une jeune et belle dame, richement vêtue et l'air décidé.
Fanchon la regardait sans douceur et la dame lui dit en souriant:
-Quand tu auras rempli ton vase, me donneras-tu à boire?
-Certainement pas, répliqurépliqua Fanchon. Pourquoi le ferais-je? Vous donnez l'impression d'être à l'aise! Je ne suis pas votre servante! Si vous avez soif, servez-vous vous-même!
La jolie dame était en réalité la fée qui avait parlé à Rose, mais Fanchon ne le savait évidemment pas.
-Tu n'es pas très polie, dit la fée, alors que Fanchon s'éloignait d'elle.
- je n'ai rien à faire avec vous, lui jeta Fanchon en partant. Occupez-vous de vos affaires.
-De si mauvaises manières méritent un cadeau toute spécial, dit la fée. Dès que tu ouvriras la bouche pour parler des vipères et des crapauds tomberont de tes lèvres.
Fanchon ne fit pas attention à ces paroles. Elle était maintenant persuadée que la vieille femme ne viendrait pas et elle rentra chez elle sans même rapporter de l'eau. Dès qu'elle fut en vue de sa maison, sa mère vint au-devant d'elle en courant.
-Alors, souffla-t-elle, toute excitée et essoufflée. L'as-tu vue? T'a-t-elle récompensé de ta gentillesse?
-Elle n'était pas là, répondit Fanchon en colère, puis elle s'arrêta net, cars trois gros crapauds étaient tombés de sa bouche et trois vipèrevipères se tortillaient par terre.
- C'est de la faute de ta soeur, tempêttempête la veuve, quand Fanchon fut dans la maison. Non, non, ne dis pas un mot, ajouta-t-elle rapidement, car le sol était déjà couvert de crapauds et de vipères. Attend que je mette la main dessus!
Mais la méchante veuve eut beau chercher dans toute la maison, elle ne put trouver Rose, car la jeune fille avait entendu et compris ce qui s'était passé, et elle savait que sa mère la rendrait responsable de ce qui était arrivé et la battrait. Toute tremblante de peur, elle avait réuni ses affaires en un petit baluchon, et s'était enfuie dans la forêt.
Trop affolée pour revenir chez elle, Rose erra dans la forêt toute la journée, et quand vint le soir, elle s'allongea sous un arbre. Elle était si malheureuse qu'elle ne put s'empêcher de pleurer.
Ses sanglots dérangèrent les petits oiseaux qui vinrent la consoler. Mais pour une fois, Rose n'avait aucun plaisir à caresser leurs douces plumes. Elle sanglotait de plus en plus fort et le bruit de ses larmes parvint aux oreilles du fils du Roi qui revenait chez lui après une journée de chasse.
Il fut très étonné de voir, perdue dans les bois, cette belle jeune fille.
-Qui est-tu? Et d'où vient-tu? Lui demanda le Prince en s'approchant d'elle. Je ne t'ai jamais vue.
-C'est probable, Sire, commença-t-elle en souriant à travers ses larmes. Et comme elle parlait, des rubis et des fleurs tombaient de ses lèvres. Elle s'arrêta immédiatement de parler, mais le Prince, revenu de sa surprise, la pria de continuer.
À la fin de son récit, le Prince était tombé amoureux d'elle. Il cherchait depuis longtemps une jeune fille aussi douce et aimable que Rose, et c'était un miracle que d'en trouver une qui parlait en fabriquant des pierres précieuses. Il l'emmena dans son palais et à la fin de la semaine, elle était sa Princesse.
Fanchon apprit bientôt le bonheur de sa soeur. Depuis le jour où elle était allée au puits, elle parlait très peu, et pour cause. Mais elle ne put se contenir à l'annonce de cette nouvelle: elle se mit dans une colère terrible et la cuisine fut bientôt remplie de vipères et de crapauds.
Finalement, sa mère ne put la supporter plus longtemps et elle chassa la pauvre fille de sa maison, disant qu'il serait préférable pour elles deux que Fanchon vive seule. Elle pourrait ainsi tenir sa langue. Elle avait raison, et depuis ce jour-là, la fière et dédaigneuse Fanchon vécut seule et muette dans une cabane à la lisière de la forêt.

D'après un conte de Charles Perrault

Il était un conteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant