Chapitre 2

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  Alexandre Lion, duc d'Albufera, en avait par-dessus la tête. Sa mère l'entretenait sans arrêt au sujet de son mariage prochain avec la jeune fille en fleur qui lui était désignée depuis belle lurette, mais qu'il n'avait encore jamais rencontrée. Elle vantait ses mérites, et ceux de son père, bien sûr duc. Les sentiments d'Alex ne comptaient pas, et ceux de sa future femme non plus : elle serait son utérus, et lui son titre. Quelle complémentarité parfaite, vraiment ! De quoi vivre heureux le restant de leurs vieux jours. Il n'avait que vingt-sept ans, le chemin serait donc d'autant plus long.

Le jeune homme décida de se réfugier dans la maison close la plus proche, dans le but d'oublier sa déconfiture. S'il ne désirait pas se marier, ce n'était pas parce qu'il refusait de tels charmes. Il rechignait toutefois à faire d'une innocente un simple réceptacle à enfants. Ici, tout le monde était satisfait : lui repartait soulagé, et la prostituée de son cru empochait une somme rondelette en échange.

Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant un visage qui lui était tout à fait inconnu ! Il rôdait régulièrement dans les parages, et presque toutes ces dames, pour ne pas dire toutes, étaient passées entre ses mains expertes. Ce devait être une nouvelle. Avec ses cheveux blonds sagement ramenés en chignon, ses jolis yeux bleus en amande et son petit nez retroussé, elle avait tout de la beauté classique. Elle avait les plus petits lobes qu'Alex eût jamais vus, et les extrémités de ses oreilles semblaient s'achever sur de légères pointes, à la manière des elfes. Ses lèvres, au tracé parfait et aux commissures légèrement remontées dans une ébauche de sourire, appelaient les baisers. Sa robe à la blancheur virginale détonnait dans ce lieu de débauche : la simplicité de la coupe et cette couleur censée symboliser la pureté paraissaient hautement ironique. Cette horreur dissimulait malheureusement les formes de la belle inconnue, ce qui décida le duc : il allait devoir l'en débarrasser pour découvrir les trésors qu'elle recelait... Il espérait ne pas connaître de déception, mais le jeu en valait bien la chandelle.

Il s'approcha à pas de loup de sa proie, puis attrapa son poignet au vol pour la retenir. Elle semblait par trop pressée de lui échapper. Impatient, mais voulant s'assurer de la bonne foi de la petite prostituée, il glissa à son oreille, la voix déjà rendue rauque par le désir :

— Combien ?

Alexandre n'était pas pingre, mais une maligne lui avait déjà extorqué une fortune parce qu'il n'avait pas songé à s'enquérir de ses prix avant. Il n'avait eu d'autre choix que de payer le somme demandée, mais il ne se laisserait pas tromper une seconde fois. Même si ramener la chose à son sens le plus concret n'était certes pas des plus romanesques.

L'ange aux yeux couleur de l'onde pure le fixa un moment, bouche bée, ne semblant pas comprendre. Serait-il son premier client ? Voilà qui lui plaisait. Il décida de l'aider un peu : après tout, il connaissait parfaitement les lieux... Il la souleva sur son épaule avec une étonnante facilité et prit le chemin de l'étage, ignorant ses pépiements désespérés. Alex pensait que les femmes n'aimaient jamais qu'on les portât ainsi, et ne s'en inquiéta donc pas outre mesure.

Arrivé devant la seule chambre disponible, il resserra son étau sur sa captive, entra, puis referma la porte d'un coup de pied. Les pièces demeuraient ouvertes quand elles étaient libres, ce qui évitait d'étranges rencontres.

Ce lieu, aussi sombre que le reste du bordel malgré l'heure peu avancée, était seulement éclairé par des bougies posées  sur les deux tables de nuit. Les rideaux émeraude étaient tirés, mais on pouvait deviner la lumière du jour qui se profilait par des interstices. Le lit occupait à lui seul tout l'espace : c'était un lit de bordel, immense et provocant, avec un miroir démesuré au plafond, qui rendait tous les mouvements les plus obscènes plus obscènes encore. Les draps, d'un rouge éclatant, juraient avec la tapisserie, aussi verte que le tissu occultant.

Alex se décida finalement à déposer son fardeau sur la couche. La vision qui s'offrit alors à lui était des plus érotiques : son chérubin était échevelé par leur rencontre, et son chignon laissait échapper de larges mèches de cheveux. Celles qui encadraient ainsi son visage rehaussaient son teint, d'une blancheur éclatante. Sa robe, dans l'action, était remontée sur ses mollets, et le duc vit avec plaisir les plus fines chevilles que la Terre eût jamais portées. De plus, la prostituée étant allongée sur le dos et respirant fortement, le jeune homme distinguait bien mieux sa poitrine à travers l'étoffe. Petite, certes, mais sans doute délicieuse tout de même.

Pressé de la goûter, il se délesta de sa redingote et de sa chemise, et se délecta de la rougeur qui envahissait les joues de la jolie blonde. Elle était vraiment trop pure pour ce lieu, mais se ferait sans doute avec le temps à son nouvel environnement. C'est alors qu'elle ouvrit la bouche pour parler pour la première fois, et le son cristallin de sa voix haut perchée acheva d'ensorceler Alexandre :

— Q-que faites vous, enfin ? balbutia-t-elle, l'air révolté.

— Je me déshabille pour mieux vous faire l'amour, répondit le duc sur un ton de conspirateur.

Ce dernier vit frémir le petit ange du bordel, tandis que lui se pourléchait les lèvres.

Une vierge au bordelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant