L'autre rive

Départ

La sonnerie du lycée Émile Zola retentit et réveilla Colette qui avait dormi pendant le cours. C'était celui de philosophie qu'elle détestait plus que tout au monde. Elle ne pouvait pas supporter la voix monotone de sa professeure qui répétait sans cesse les mêmes rengaines sur l'existence et la vie, auxquelles Colette ne comprenait rien. Mais elle était soulagée, c'était enfin la fin de cette année de première interminable. Elle avait rendez-vous chez Alain après les cours pour célébrer avec sa bande de copains la fin de l'année scolaire. Mais avant, elle voulait aller voir sa copine Élise, qui avait fini les cours plus tôt. Élise était sa meilleure amie, les deux filles se connaissaient depuis leur petite enfance.

"- Je n'ai pas envie d'aller chez Alain, ronchonna Colette.
- Tu m'étonnes, il est à peine supportable à tout le temps parler de ses jeux d'arcade.
- Arrête il est gentil, juste un peu dans son monde. Mais il m'énerve, il n'arrête pas d'insister pour avoir des rapports alors que je n'en ai pas envie.
- C'est normal, c'est un gars. Mais pourquoi t'en as pas envie ? T'es pas amoureuse de lui ?
- Je sais pas... Si je l'aime, mais... j'aime pas me sentir obligée c'est tout.
- Alors si tu n'y vas pas ce soir tu peux rester dormir chez moi, si tu veux on lui dira que tu te sentais pas bien !
- Désolée mais j'ai besoin d'être seule un temps. Je vais rentrer chez moi.
- T'inquiète pas je comprends. C'est bien demain que tu pars ?
- Oui, demain matin. Mes parents étaient si pressés que je parte... Au moins ils ne m'embêteront pas chez mon frère.
- Oui tu as raison, vivement que tu t'en ailles de ce foyer. "

Colette partait pour les vacances dans un petit village dans le centre-est de la france, chez son frère Arnaud dont elle était très proche. Il s'était mis sa famille à dos lorsqu'il avait choisi de ne pas faire d'études pour se tourner vers un métier ouvrier. Ce n'est pas qu'il aimait ça, cependant il n'avait jamais été doué à l'école et préférait les activités manuelles. Il avait dès la fin du lycée emménagé avec sa copine de l'époque en Bourgogne, travaillant en tant que maçon. Sa famille était d'un milieu intellectuel et espérait depuis longtemps le voir devenir un riche médecin. Elle n'approuvait pas ses comportements et ses choix de vie qu'elle qualifiait d'incivils. Arnaud ne s'était jamais conformé à l'éducation stricte de sa famille. Elle lui reprochait ses mauvaises manières, son langage grossier et son non-respect des coutumes familiales. Il n'avait aujourd'hui plus de contact qu'avec sa sœur.

Sur le chemin du retour, Colette ne put retenir les larmes qui coulaient. Elle se sentait coupable de mentir pour ne pas passer la soirée avec Alain. Finalement, elle n'était pas si sûre de l'aimer.

Tôt le lendemain, elle alla chez Alain et laissa un mot devant sa fenêtre sous une petite pierre, pour lui dire qu'elle ne voulait plus être avec lui. Elle ne s'expliquait pas car elle ne voulait pas s'éterniser et y penser plus longtemps. De toute façon, beau comme il était, il se trouverait bien une nouvelle copine dans la semaine qui suivait.

Sa mère l'accompagna ensuite à la gare. Durant le trajet elle ne cessait de lui faire des reproches, lui faire remarquer à quel point elle était inutile à la famille et mal élevée comme son frère qui l'influençait à ne pas suivre le droit chemin. Elle tolérait que Colette aille passer les vacances chez son frère car cela l'arrangeait de s'en débarrasser, et elle avait perdu espoir d'en faire une personne correctement éduquée. Colette ne répondit pas. Elle ne réagissait plus à ces remarques désagréables quotidiennes. La mère ne fit même pas l'effort de dire au revoir à sa fille en la déposant à la gare.

Assise dans le train prêt à partir, Colette poussa un soupir de soulagement. Elle n'allait enfin plus avoir à supporter les reproches incessants de ses parents. Elle regardait la ville de Rennes s'éloigner peu à peu tandis que le train avançait. Enfin, se disait-elle, emmène-moi vite loin de cette ville accablante.