Exilé - 1 -

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Il suffit de tendre l'oreille. C'est évident, je ne suis pas chez moi. C'est un fait, c'est un constat, ni plus, ni moins. Je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle ou non. Je sais simplement que sous mes yeux, dans la tranquille froideur qui commence à s'installer, la lumière s'allume. Il n'en est jamais autrement à Tokyo.

Les Jeux Olympiques viennent de se terminer. J'étais au milieu du stade, enfermé dans une bulle dont je ne voulais surtout pas partir. Elle a pourtant éclaté, me laissant dans les cheveux, sur la peau, sur les mains une multitude d'étincelantes images. Il suffit que je ferme les yeux pour qu'en quelques secondes toutes se bousculent.

C'est un sentiment étrange. Se sentir incapable de maîtriser le fil sur lequel je suis pourtant somnambule. Un fil d'images, de sons, de formes, d'odeurs. Tous cousus les uns aux autres, rattrapés par la continuité que je représente. Après tout, ces images, ces odeurs, ces formes, ces sons ne sont que le reflet des quinze jours que je viens de passer.

Le feu d'artifice a laissé tomber dans les environs du stade quelques déchets, et l'odeur persiste. Loin du parfum magnifique dont nous sommes aspergés dans le stade olympique, cette fragrance-là me pique les yeux et le nez. Je ne me sens pas à l'aise malgré le masque. Il faut encore le porter, et je me demande encore si un jour je l'enlèverai.

Tout est joli ici. Les gens sont beaux. Le dimanche, les japonais semblent plus calmes que d'habitude. Le reste du temps, je les vois déambuler dans tous les sens. A droite, à gauche, ils vont, ils viennent, ils ne s'arrêtent pas. Ils pensent à leur travail, à leur famille, à leurs amis. Ils sont là les uns pour les autres.

Je ne sais pas si c'est vrai. On m'a dit ça. Une confidence sur l'oreiller, avant et après avoir passé un peu de temps dans les bras d'un athlète. Je n'ai pas succombé aux charmes des autres olympiens, je m'en serais voulu. Cependant, je confesse avoir passé du temps, sensuellement, aux côtés de quelques-uns d'entre eux.

Un athlète japonais, donc, m'a raconté son Japon. Ce qu'il ressentait en vivant ici, ce qu'il imaginait pour l'avenir, en dépit des craintes. Pour eux, la crise sanitaire n'est qu'une crise de plus après une histoire récente complexe, pleine de péripéties et triste. Sordide même. Heureusement que ces échanges n'ont eu lieu qu'après mes épreuves.

Il se sentait seul dans son propre pays, alors que Tokyo était devenu le monde le temps d'une quinzaine. Après tout, pourquoi pas, tout n'est qu'affaire de perception. Ce qui compte, ce n'est évidemment pas la réalité : c'est ce que l'on vit, la manière dont elle danse autour de nous. Sinon, nous serions des pantins uniformes.

J'ai respecté sa nostalgie et sa solitude. Il me l'a confiée au creux de mes bras le temps des quelques heures. Il m'a donné son téléphone, je crois. J'ai aussi passé du temps, la nuit, sans forcément être aussi proche et réconfortant, avec des nageurs américains. Bien sûr, tous n'étaient pas homosexuels. Mais certains l'étaient.

Ils ont déploré que nous ne faisions pas usage des dizaines de protections fournies par les organisateurs. Je ne suis pas venu pour ça. Mais je les ai gardées. Elles sont dans mon sac, celui que je tiens sur mon épaule droite. Elles sont estampillées Tokyo 2020. C'est original.

Les petites folies de Kerray (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant