Chapitre un : Jelani

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« Arrête de râler comme un furet, dit Gwen quand Jelani se plaignit de son poste pour la quarante-cinq millième fois de la soirée.

– C'est les putois qui râlent. Et toi arrête de massacrer les expressions animalières ! La SPA a déposé plainte ! rétorqua Jelani.

– Putois, furet, ils pourront jamais être aussi râleurs que toi de toute façon. »

Gwen le regarda et soupira :

« Jé, t'es juste un chieur ! T'es jamais content !

– C'est pas vrai. Je suis content, regarde mon sourire extatique. »

Jelani sourit de toutes ses dents, et Gwen secoua la tête.

« Rien que la semaine dernière, tu m'as saoulé que tu en avais ras la couette de perdre ton temps à monter des dispositifs inutiles et à faire des plaquettes de blabla pour des gens qui les liraient pas, que tu étais plus utile sur le terrain et que tu n'y allais pas assez dans ton boulot. Ben voilà... tu y as droit. »

Gwen eut un regard noir en lui ressortant ses dernières jérémiades. Jelani hésita à répondre puis il ne résista pas. Si son pote n'était pas là pour se farcir son cahier entier de doléances, il ne voyait pas à quoi ce crétin servait.

« Je te rappelle où ? Chez les flics ! assena-t-il.

– Et ?

– Les flics, putain !

– Enfin, jusqu'à preuve du contraire, c'est bien là que tu pourras être le plus utile aux victimes, non ? Et des flics biens, ça doit exister.

– Mouais... enfin quand je disais que je voulais être sur le terrain, je pensais pas à...

– Arrête de penser, tu te fais du mal, coupa Gwen.

– Enfoiré ! »

Jelani poussa un long soupir et replaça les verres correctement devant les assiettes, avant de faire de même avec ses couverts jusqu'à ce que Gwen soupire bruyamment, énervé par sa maniaquerie. Il n'y pouvait rien, il stressait.

Cela faisait trop longtemps qu'il cassait les pieds à ses supérieurs et qu'il simulait une allergie à la réunionite inutile. Ce n'était pas non plus sa faute s'il ne voyait pas en quoi des conférences de pédants en costumes allaient aider les familles du quartier à s'en sortir. Ils voyaient toujours les mêmes têtes à ces événements et c'était précisément les familles qui n'avaient pas besoin d'aide ! Il détestait ce temps perdu pour des choses inutiles. Il avait bien proposé des idées mais chaque fois, ça s'était heurté au fait qu'il fallait attendre que les familles viennent d'elles-mêmes. Seulement, lui le connaissait ce quartier et ça ne marchait pas comme ça. Il fallait aller les chercher les familles, sinon la méfiance dominait. Une des dernières lubies de son chef sur laquelle il avait travaillé : faire un dépliant tout en pictogramme compréhensibles pour inciter les femmes à venir assister au cours de français. C'était joli sur le papier, ça rendait bien, affiché à l'accueil du centre social sauf que ça n'avait eu aucun effet. Surtout que certains maris n'avaient absolument aucun intérêt à ce que leurs femmes apprennent la langue.

« Quand même, reprit Jelani au bout d'un moment, être assistant social, noir et ouvertement gay chez les flics, faut pas avoir beaucoup de suite dans les idées.

– Arrête un peu, tous les flics ne sont pas des fachos adhérents de la manif pour tous. Enfin, j'espère pour toi ! Et puis, tu as une période d'essai, non ? »

Jé hocha la tête. Il savait bien que c'était un poste important, où il serait vraiment utile. Il avait envie d'être utile à nouveau, comme avant, lorsqu'il travaillait à l'ASE et qu'il y avait laissé trop de plumes. Il se sentait prêt à se confronter à nouveau à une réalité sombre. Mais il n'avait jusque-là pas eu de relations bien cordiales avec la police. Il se demanda s'il arriverait à perdre ce réflexe de chercher une échappatoire ou ses papiers d'identité quand il verrait un uniforme.

Flower (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant