Mariée en fuite

Première partie

Pourquoi je marche vers lui ? Pourquoi je me donne à lui ? Pourquoi est-ce que je pardonne absolument tout à ce regard magnétique ? Je l'aime, mais je ne veux pas être sa prisonnière et je m'apprête pourtant à le faire. Je serre le bouquet contre mon ventre en prenant une grande inspiration et je lâche le bras paternel auquel je m'accrochais avec peine. Le bouquet glisse entre mes doigts et s'écrase sur l'allée de pétales séchés. Je n'ose pas croiser son regard. Si je le fais, je retournerai à ses côtés, devant l'autel pour prêter serment.

Mes jambes me guident vers les portes de la chapelle. Lorsque je les pousse, les notes de l'orgue s'envolent au gré du vent. Le souffle de la liberté est une invitation à m'échapper. Je soulève ma traîne et court vers la lisière de la forêt. Les feuilles qui se balancent sur les branches me murmurent de les rejoindre. Je quitte cette clairière lumineuse et m'enfonce dans la forêt. L'écho des hurlements de mes proches parvient jusqu'à moi. Des larmes coulent sur mon visage. Je ne peux pas y retourner. Si je le fais, je garderai les stigmates de cet affront. Il me pardonnera après les coups. Comme toujours.

Les branches écorchent mes bras nus et déchirent la dentelle de ma robe. Je sème des petits lambeaux d'ivoire derrière moi, tel le petit Poucet. Seulement, je ne veux pas retourner d'où je viens, je veux m'éloigner de cette prison dorée qu'il a bâti autour de moi. Ce mariage aurait scellé à jamais cette geôle. Dire oui revenait à légitimer sa violence envers moi et à être sous le joug de cet homme que je croyais aimer, pour l'éternité.

Je tourne la tête un bref instant, en priant pour ne pas croiser sa démarche menaçante, mais je trébuche. Une racine m'agrippe la cheville. Le tissu immaculé se déchire davantage et se teinte de sang. Le terre souille ma peau recouverte des traces visibles et invisibles de mes soi-disant chutes dans l'escalier. Aujourd'hui, c'est la première fois que personne ne me pousse. Je me relève. Les plaies sont superficielles. Je reprends ma course. Les brindilles craquent sous mes pieds nus meurtris. Le ciel s'assombrit et pourtant, mon avenir s'éclaircit. La route se situe à une dizaine de mètres.

Une première voiture passe. Une deuxième klaxonne. Une troisième me percute. Délibérément. Mon corps s'effondre sur le bitume. J'ai le souffle coupé. Je ressens la nécessité de me recroqueviller tel un fœtus. Il s'approche. Je sais que c'est lui. Ses pas lourds sont des résonances synonymes de danger imminent. Il marmonne, m'insulte et me gifle. Mes yeux embués de larmes cherchent une échappatoire. Mes ongles griffent le goudron. J'essaye de me traîner, mais il attrape mes chevilles et me tire violemment vers lui. Je cris alors il empoigne mes cheveux et claque ma tête sur le sol. Mes yeux pétillent. Mes oreilles bourdonnent. Je perds connaissance.