Chapitre 3

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Je n'en reviens pas. Non seulement mon père a passé dix ans enfermé dans son atelier sans jamais prêter attention à sa famille, mais en plus, il a obligé le robot qu'il a créé à rester avec moi ? Les rafales de vent me poussent vers la voiture en m'enlaçant de ses bras froids. Elles me chuchotent de rentrer trouver la quiétude de la chaleur. Je lance en espérant clore la conversation :

- Et bien, ne suis pas le programme.

Je déverrouille ma voiture sans plus attendre.

- Je ne peux pas. Si je ne suis pas mon programme, je ne suis plus rien. Je bugue.

Exaspéré, j'ouvre ma portière.

- Alors bugue. Que veux-tu, des centaines de machines court-circuitent chaque jour.

- Non. M. Du Castel a laissé une grande marge de manœuvre pour que je puisse évoluer de la meilleure manière qu'il soit, mais c'est une limite que je ne peux pas franchir. Je dois te suivre.

Je laisse ma tête tomber sur le volant en marmonnant pour moi-même "Mais qu'est-ce que je peux bien faire pour qu'il me foute la paix."

- Tu n'as qu'à changer mon programme.

Je me relève d'un coup, une lueur d'espoir dans le regard.

- C'est possible ça ?

- Oui, bien sûr. Par contre, ça veut dire que tu perds.

- Comment ça ?

- Et bien, si tu me reprogrammes, tu abandonnes la moitié du patrimoine de ton père.

Je peste et mets la clef sur le contact. Il n'y a donc rien à faire. Si je veux mon argent, je dois obtenir... quoi ? L'amitié de cette machine ? Plus ? Mais ça ne peut pas ressentir d'émotions. Si ?

Il ouvre la portière passagère, et me demande d'une voix soucieuse :

- Donc, je te suis ?

Je me pince l'arête du nez en grommelant. Il prend ça pour une approbation et s'installe dans l'habitacle.

- Je me ferai tout petit. Promis.

Je démarre en trombe. Du coin de l'œil, je l'observe s'émerveiller à chaque coin de rue. En souriant ainsi, il a presque l'air humain. Il a une très fine barbe sur le menton, et je me demande si ses cheveux peuvent pousser. Je soupire en me disant que pendant toute ses années, alors que ma mère dépérissait dans son lit d'hôpital, alors que nous mourrions elle et moi d'un chagrin infini, il était en train de se demander de quelle couleur il devait faire la peau de son petit jouet, ou bien s'il devait lui apprendre une, deux, ou cinq langues.

Le trajet jusqu'au campus se fait dans le silence absolu. Mon passager est si immobile que je me demande s'il n'a pas disjoncté. Malheureusement pour moi, à peine ai-je fini de me garer qu'il sort de la voiture.

Une fois dans mon studio, il reste une bonne poignée de secondes sur le seuil avant de s'avancer d'un pas mal assuré vers mon canapé. Un problème de plus : comment va-t-on pouvoir dormir à deux ici ? Est-ce qu'il dort au moins ? Je suppose que oui, même mon téléphone a besoin d'être éteint de temps en temps. En revanche, je n'ai aucune idée de ce qu'il peut manger. Quand je le lui demande, il me répond :

- La même chose que toi je suppose.

- Une pizza ?

- Pourquoi pas.

- Quatre fromages ou chorizo ?

Ses yeux parcourent la pièce comme dans l'espoir de trouver une réponse. Il hausse les épaules :

- Je n'ai jamais goûté ni l'un ni l'autre. Prends ce que tu préfères.

Alors va pour une chorizo. Maintenant, je n'ai plus qu'à trouver une solution pour le couchage. Soudain, l'illumination : je n'ai qu'à aller à une fête, il y en a toujours une sur le campus, et trouver une fille avec qui passer la nuit. Mon squatter n'aura qu'à rester tout seul.

AlexT47-A Ou La Théorie de l'Intelligence Naturelle *Delve Deeper 2021*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant