Chapitre 1

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Le brouhaha constant entre les murs du restaurant n'était plus qu'un léger bourdonnement à ses oreilles. Habituel. Ordinaire. De temps en temps, des rires sonores l'interrompaient brièvement, lui parvenant atténués comme à travers du coton. Incertains. Sans réelle consistance.

Le silence, au contraire, était hostile et pesant. Parfois, il avait même l'impression désagréable que ses oreilles sifflaient et que quelque chose le prenait aux tripes, le forçant à tenir tous ses sens en alerte. Il n'était pas dans cette situation. Pourtant c'était cette sensation qui lui nouait le ventre.

– Taehyung. Taehyung, tu vas t'évanouir, assieds-toi, murmura une voix à son oreille.

Sa bulle éclata et le doux brouhaha se transforma en cacophonie assourdissante, le frappant de plein fouet. Ses doigts s'accrochèrent au comptoir mais ses genoux lâchèrent et deux bras vinrent l'empêcher de tomber. Bientôt les voix s'atténuèrent et il se retrouva assis sur l'un des bancs du vestiaire.

– Depuis combien de temps t'as pas dormi une nuit entière ?

Il se passa les mains sur le visage puis dans ses cheveux qui lui tombaient dans les yeux, avant d'entrecroiser ses doigts sur sa nuque.

– Dans tous les cas, tes problèmes me regardent pas, ce qui me concerne c'est que si tu ralentis les autres, je veux pas en payer le prix avec toi. T'as encore de la chance qu'il te garde ici, alors règle tes problèmes comme tu veux, mais pénalise pas les autres. Y en a des dizaines qui voudraient ta place, alors soit tu te casses, soit tu te mets dans des conditions de travail vivables.

Taehyung prit machinalement la bouteille d'eau que l'autre lui tendait sans même prendre la peine de répondre. Il fallait dire qu'il ne l'avait pas forcément écouté. Il était au courant. Il n'avait pas besoin qu'on le lui rabâche ni qu'on lui donne des conseils qu'il ne pouvait pas suivre de toute manière.

Il finit par se relever en ignorant la main que son collègue venait de tendre vers lui, posa la bouteille sur le banc, et se dirigea vers la porte sans un mot.

Le brouhaha emplit de nouveau ses oreilles, plus distinct que précédemment, cependant. Il se dirigea vers le comptoir des cuisines, plus par automatisme que par une quelconque volonté, pour faire demi tour immédiatement lorsqu'on lui mit trois assiettes sur les bras sans plus de cérémonie.

– Table sept, bouge, tu dors debout !

En tout cas, il pouvait s'estimer heureux que les plats arrivent à destination, vu la manière dont ses mains tremblaient, et il en fut d'ailleurs lui-même soulagé en les posant devant les personnes auxquelles ils étaient destinés. Il débarrassa la table d'à côté après le départ d'un couple et revint au comptoir en se concentrant sur ses pas qu'il sentait incertains. Il avait atteint la table de nouveau et y avait déposé le flacon de produit nettoyant à l'instant même où un vertige manqua faire plier ses genoux.

Il se força à fermer les yeux une seconde pour les rouvrir sur le bois vernis de la table où il s'appuyait, les doigts crispés sur la lavette qu'il tenait dans la main gauche. Il finit par le placer sur la table et entama des mouvements rapides, presque précipités. Il entendit vaguement une voix sonore au ton mécontent s'élever plus loin, attirant l'attention de certains clients qui cessèrent de discuter pour regarder, mais lui, garda la tête baissée, s'appuyant plus sur cette table qu'il ne s'appliquait à la nettoyer.

Ce n'était pas la première fois. C'en était encore un qu'on n'avait pas assez bien servi et qui allait en chier une pendule. Une goutte d'eau avait sûrement atterri sur son costume hors de prix édition limitée venue tout droit de Paris et de son cul. Ou plutôt un verre de vin. C'était un putain de verre de vin entier. Le pauvre.

Cobalt Blue | vhopeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant