Amok

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Son emploi du temps était maintenant presque complet, à quelques détails près, mais ne revenons pas sur la désorganisation des universités françaises. Bien qu'elle ait croisé Pierre, dans les couloirs froids de la faculté, elle ne pouvait s'empêcher de repenser au regard de cet inconnu. Que cache-t-il, se dit-elle. Son visage, ce regard .... Elle savait qu'une chose familière et mystérieuse restait au fond de son esprit à chaque fois qu'elle fermait les yeux et qu'il apparaissait dans ses pensées.

Elle revoyait cette main se lever pour la saluer, dans un geste fou elle soulevait la sienne pour toucher celle de l'inconnu, dans une rêverie diurne se confondant avec la réalité.

C'est alors qu'un liquide sucré et bouillant coula sur son bras, elle se mit à hurler de douleur.

Le silence règnait, un silence rompant l'habituel tapage des étudiants.
Forcée de quitter sa rêverie, elle ouvrit les yeux, ce regard .... Ce regard mystérieux et étonné. Elle comprit que son bras levé n'était pas seulement imaginaire, elle venait de percuter quelqu'un dans la réalité objective!

Par reflexe, Luc lui avait pris le bras et lorsqu'elle rehaussa sa tête, il fit un bon d'un mètre. Léna ne comprenait pas ce qu'elle venait de faire. Un silence imposait entre eux une domination suffocante.
C'est alors que droit comme un pic Luc s'écria : « Je ne t'avais pas vu ... mais en même temps tu m'as foncé dessus, je n'ai pas eu le temps de t'éviter, dit-il sans remarquer qu'il s'était mis à la tutoyer, et tu m'as percuté moi et mon café ».

Mon café et moi, se dit-elle avec un sourire au coin des lèvres.
« Eh bien excuse moi d'avoir gâché ta pause café, et mon bras me fait encore mal, ... bien que cela ne semble pas t'inquiéter».

C'est alors qu'il monta rouge devant elle, et comme dans un mouvement d'impulsivité il la prit par la main non blessée. Sans réfléchir à son action, il poussa les portes des toilettes hommes. Certains étudiants étaient devant leurs urinoirs, ayant comme une vision de l'arrivée d'une jeune femme blonde, aux jambes interminablement longues, avec deux billes bleues azures, rentrant sans crier gare, dans leurs espaces privés.

« Sortez tous !» cria comme un fou Luc. Comme un amok, il continua son mouvement en ouvrant l'eau froide pour soigner le bras de Lena, sans noter le départ de ses compares.
Notre jeune étudiante stupéfaite voyait tous les hommes se reboutonner et zipper leurs pantalons, alors que son inconnu très concentré semblait être dans un autre monde. Encore une fois, ce jeune homme l'interpellait, la douceur de ses soins mais aussi la violence par laquelle il l'avait amené ici.

« Je suis Lena Macti, dit-elle soudainement, je suis sincèrement désolée, ce n'est pas de ta faute, j'étais encore perdue dans mes rêves, et quand je rêve je ne peux pas m'arrêter, je suis un peu comme dans Vanilla Sky je ..... je ne sais plus où je suis et je suppose que c'est comme cela que je t'ai percuté et maintenant je n'arrive plus à m'arrêter de parler, dit-elle en mettant son autre main sur sa bouche comme pour rompre un mouvement qui lui semblait logorrhéique ».

« Oui effectivement, répondit-il, tu avais le bras en l'air et les yeux fermés, tu semblais vouloir attraper quelque chose avec ta main droite, mais c'est mon gobelet de café que tu as pris à la place, dit-il en souriant».

Le rouge monta progressivement sur son visage, elle savait à quoi il référait, mais elle ne pouvait naturellement pas lui révéler le pourquoi de ce geste. Tout à coup, Luc remarqua qu'il n'etait qu'à quelques centimètres d'elle, prit par une angoisse profonde, il recula d'un mètre et demi, et son visage changea d'expression pour prendre des traits beaucoup plus durs.

« Je m'appelle Luc Roussel, je suis désolé de cet accident, cela ne recommencera pas, sois en sur, même si tu es dans tes rêves, ne laisse jamais personne t'en extraire, pas même moi, mais sois en sur, je ne te dérangerai plus ».

C'est alors qu'il quitta la pièce, sans ajouter un seul mot, laissant Léna le bras étendu dans l'eau froide, dans les toilettes des hommes de son université.

Qui était-il? Pourquoi etait-il si lunatique? Une minute cet inconnu sembait être quelqu'un de parfaitement adapté puis ses mouvements de reculs devenaient incompréhensibles.

Paris, NY and loveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant