Au moment d'empaler l'inconnu avec le chandelier, Jeanne avait senti une force dévier sa trajectoire, et sans qu'elle ne comprenne comment, elle s'était retrouvée désarmée. L'intrus tenait le chandelier dans une main et lui avait jeté un regard agacé.
— Bon sang ! Ça ne vous a pas suffit de me tuer une première fois ?
— Mais qui êtes vous ?
Jeanne commençait à perdre une patience qu'elle n'avait jamais eu.
— Le Duc Isidore, je viens de vous le dire ! Vous embrochez souvent les gens que vous n'écoutez pas ?
— Rarement, avait admis Jeanne. Qu'est-ce que vous voulez ?
— Voilà une question intéressante !
L'homme s'était relevé de la chaise et avait fait quelques pas, salissant le tapis avec les bottes pleines de boue qu'il portait aux pieds.
— Il faut que vous changiez la fin. Vous ne pouvez pas laisser cet abruti me tuer. Non, vraiment pas.
— Quoi ?
Le Duc Isidore avait pointé le cahier sur le bureau.
— Changez la fin du livre. C'est un vrai conseil. Cet idiot de Gonzague ne sait pas manier une épée, et je suis guerrier depuis bien plus longtemps que lui. Je refuse de mourir de sa main. Il en va de mon honneur !
Jeanne avait décidé de passer son tour pour répondre et avait choisi de rester silencieuse tandis qu'elle assemblait les pièces imaginaires du puzzle qui se tenait face à elle.
— Bon, si vous n'émettez pas d'objection, on peut s'y mettre. Je vous dicte ce qu'il faut écrire comme ça vous ne perdez pas trop de temps et tout le monde est content.
— Vous êtes le Duc Isidore ?
Le Duc Isidore avait soupiré.
— Je croyais qu'on avait dépassé ça... Oui. Moi, Duc Isidore.
Il avait fait de grands gestes.
— Je ne viens pas souvent à Ravenval, mais je n'avais jamais eu l'occasion de constater que les habitants pouvaient s'y montrer aussi intellectuellement limités... Ou est-ce qu'il s'agit seulement de vous ?
Jeanne n'était pas du genre à se laisser insulter de la sorte, mais vous conviendrez qu'elle avait une problématique plus urgente à régler dans l'immédiat, et que tout ce qu'elle était capable de se demander, c'était ce que faisait ce Duc au beau milieu de son salon.
— D'où venez-vous ?
— De Valraven, bien sûr !
Bien sûr. Le Duc Isidore, antagoniste secondaire, personnage tout droit sorti de son livre. Il était là, face à elle, et venait de Valraven, un monde qui n'existait qu'entre les pages de son cahier. Tout faisait sens. À moins que ce ne soit tout le contraire. Comme Jeanne penchait plutôt vers cette deuxième option et alors qu'elle restait figée, le Duc avait eu un regard atterré et s'était mis à crier:
— JE SUIS LE DUC ISIDORE DE VALRAVEN. IL FAUT MODIFIER LA FIN DU LIVRE.
— Pas besoin de crier, j'ai compris.
— Par tous les bisons ! C'est pas trop tôt.
— Vous êtes le Duc Isidore et vous venez d'un monde qui n'existe pas, avait résumé Jeanne, davantage pour elle-même que pour l'homme qui se tenait devant elle. D'ailleurs vous n'existez pas non plus, si je peux me permettre.
— Permettez-vous !
— Merci. Donc vous êtes un personnage fictif qui se tient dans mon salon. C'est ça que je ne comprends pas.
VOUS LISEZ
Le Chat de Monsieur Saune
FantasiQuand Monsieur Saune, son patron, lui confie la garde de la librairie et de son chat avant son départ en vacances, Jeanne ne voit pas ce qui pourrait mal se passer. Employée modèle le jour, écrivaine en herbe la nuit, elle se pense prête à faire fac...