Chapitre 18

113 21 24
                                    

Jeanne trouvait la compagnie de Marlon agréable pour pallier la façon d'être parfois exaspérante de Gonzague. Plus cela venait, et plus elle surprenait Marlon à lever les yeux au ciel, lui aussi, face à certains de ses monologues, dans lesquels il se plaignait des conditions de vie des héros. Alors qu'ils avaient décidé d'aller s'installer dans n'importe quel bar qui n'était pas celui des trois épées, pour faire le point sur leur situation, Gonzague s'évertuait à leur rabâcher à quel point il était difficile pour lui de ne pas avoir son assistant personnel.

— Je fais de réels sacrifices, vous savez, pour cette vie de héros que je n'ai pas choisie...

Jeanne avait froncé les sourcils, tiquant sur le « pas choisie ». Était-ce de cela dont voulait lui parler Ectobel lorsqu'il avait affirmé qu'elle devait mieux connaître ses personnages ? Peut-être était-il temps de redéfinir les rôles... Marlon avait bien plus la carrure pour assumer le rôle de héros et personnage principal. Mais n'était-ce pas dangereux d'inverser ainsi les tendances en cours de route ? Et puis, comment était-elle censée s'y prendre ? Elle ne pouvait demander à Marlon de prendre la place de Gonzague.

Et si elle l'écrivait dans le livre ?

Le petit groupe était arrivé près d'un bar à moitié vide et s'était installé à une table. Jeanne avait regardé Marlon, qui regardait Gonzague expliquer pourquoi un assistant était primordial, hésitant visiblement entre un soupir d'exaspération et se contenter de regarder la manière avec laquelle retombaient ses bouclettes. Jeanne s'était forcée à ne pas lever les yeux au ciel devant le tableau, se concentrant sur son idée tandis que Gonzague demandait à Marlon s'il pouvait lui servir d'assistant.

— Je ne peux pas être ton assistant, je suis ton mentor, avait-il rétorqué, visiblement vexé.

Non, s'était dit Jeanne. Ce serait trop risqué de changer les rôles, d'écrire ça dans le livre alors qu'elle n'avait aucune maîtrise sur ce qu'il s'y passait. Cela risquait d'empirer la situation. Et puis, impliquer Marlon plus qu'il ne l'était déjà, maintenant qu'elle savait ce qui était arrivé à Eileen... Elle ne voulait pas que le fae subisse d'autres aléas, qu'il assiste à d'autres dommages collatéraux. Surtout quand elle n'avait pas le contrôle sur ce qu'elle écrivait, que persistait un problème interne dont elle n'avait aucune idée de l'origine.

Mais si le problème datait d'avant sa visite à Valraven, cela signifiait que c'était en rapport étroit avec la structure même de son histoire. Peut-être devait-elle trouver toutes les solutions manquantes – celle de la faille, notamment – pour boucler son histoire et ainsi résoudre les problèmes ?

Mais s'il s'agissait de cela, le Chah le lui aurait signifié. Et puis les problèmes ne pourraient pas se résoudre tout court, si elle ne trouvait pas comment envoyer Gonzague à la poursuite de sa mission.

Elle s'était immiscée dans la conversation, coupant le prince dans sa lancée plaintive.

— Il faut que l'on détermine un plan d'action.

— Super ! avait-il acquiescé vivement – pour une raison ou pour une autre, il semblait plus motivé que jamais. Quel plan ?

Jeanne avait réfléchi. Il lui semblait important que Gonzague retourne là où il était censé être dans l'histoire originelle, sans sa présence pour le détourner de ses objectifs. Cela impliquait de le laisser partir avec Marlon, et de se retrouver seule pour chercher son chat, mais si c'était le prix à payer pour donner une chance à Valraven d'être sauvé, elle était prête à tout essayer. Elle avait exposé son idée à Gonzague puis, réfléchissant à voix haute, avait ajouté:

— Si tu n'étais pas venu avec moi dans la forêt dense, où est-ce que tu serais...?

— Je sais ! s'était-il écrié. Je serais encore en train de régler ses comptes à ce Duc de malheur, car il est de mèche avec Oscar ! C'est comme ça que nous emporterons la victoire ! Il faut lancer une nouvelle attaque !

Le Chat de Monsieur SauneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant