S'il devait se souvenir de ce qui l'avait le plus marqué en cet instant-là, il aurait aussitôt mentionné l'air qui semblait vibrer autour de lui alors que le ciel devenait de plus en plus noir, les nuages boursoufflés par les éclairs.
Tout semblait vrombir autour de lui, même le bois du bateau qui tanguait dangereusement sous ses pieds.
Alors que ce dernier tombait dans le creux d'une vague, de nouveaux cris se firent entendre malgré le bruit de la pluie qui tambourinait rageusement sur le pont.
De nouveaux malheureux venaient de passer par-dessus bord, Jeremiah en était certain.
Les ordres du Capitaine fusaient, sa voix rauque, usée par des années d'alcool frelaté et de tabac de piètre qualité, portant par-dessus tout ce vacarme entre deux coups de tonnerre et le hurlement du vent.
Les membres d'équipage couraient sur le sol détrempé malgré le risque de chute mortelle, menant à bien leur tâche, et Jeremiah regretta pour la énième fois depuis que le Clarisse avait levé l'ancre, d'être ce qu'il était.
Le dos plaqué contre les quartiers qui étaient réservés au Capitaine ainsi qu'au second et à lui-même, il serra les poings alors que son estomac se contractait à la vue du creux dans lequel le bateau allait encore s'engouffrer.
Ses doigts s'agrippèrent au bastingage à sa droite, lissé par des décennies de navigation à travers mers et océans.
Il savait au plus profond de son être que s'il survivait à ce nouveau fracas, ce serait un miracle, mais il refusait d'aller se refugier lâchement dans sa cabine dans l'espoir que la carcasse de bois sortirait indemne de cette tempête.
L'onde de choc serpenta jusqu'au plus profond de ses vertèbres et il jura avoir entendu les os de son bras droit se briser en un millier de morceaux, malgré le sombre craquement funèbre qui émana du navire alors que les mats s'effondraient sur le pont et le bourdonnement qui s'était emparé de ses tympans.
Il bascula par-dessus ce qu'il restait du garde-corps et eut tout juste le temps de fermer les yeux avant que son corps ne percute la surface sombre et dure de l'océan.
Alors qu'il sombrait dans l'étendue noire et que l'arrière de son crâne percutait un morceau du bateau, il sentit des doigts effleurer les siens, mais sa conscience se brouilla avant qu'il ne fût certain qu'il avait bien pu s'y raccrocher.
- En es-tu sûr, fils ? Tu n'as pas les épaules pour naviguer, tu ne tiendras plus debout à peine les amarres larguées. Tu es bien mieux sur l'un de ces affreux fauteuils satinés que ta mère affectionne tant. A la conseiller dans ses choix de tissus, pour sa robe du prochain grand bal.
Jeremiah, du haut de ses vingt-deux ans se balançait d'un pied sur l'autre, les mains nouées dans son dos.
Il voulait montrer que malgré sa carrure malingre et son statut de fils cadet dont on n'attendait pas grand-chose, il était capable d'être utile.
Et surveiller la bonne livraison d'une des cargaisons de son père à la place de son oncle lui semblait le meilleur des débuts.
Même si sa mère souhaitait avant tout qu'il se marie.
Selon ses dires, les femmes des notables de la ville commençaient à jaser dans les salons qu'elle fréquentait, pointant du doigt des infirmités qu'il n'avait pas.
- Laissez-moi le faire au moins une fois, Père. A mon retour, je ferais ce que vous souhaitez.
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Phoe
Historical Fiction1634. Un navire marchand. Une tempête. Jeremiah, fils cadet d'un riche marchand voulait faire ses preuves, montrer que malgré l'abandon de sa fiancée pour un homme avec un titre bien que moins fortuné, il n'était pas impotent et un poids pour sa fam...