Chapitre 13 ~ Victor et Léonie

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Ma mère a deviné. Elle a prévu ce qui allait arriver à Léonie. Elle a averti Marie, l'a chargée de guetter les signes et peut-être même de me prévenir. Mais comment a-t-elle pu prédire ce qui agiterait sa fille, huit ans après qu'elle soit partie ? Et surtout, pourquoi ? Léonie m'a expliqué que c'était en lisant sa lettre qu'elle a compris et pris sa décision. Pourquoi ma mère l'aurait-elle incitée à commettre cet acte pour ensuite alerter Marie ? Ça n'a pas de sens. Peut-être n'avait-elle pas anticipé que Léonie réagirait ainsi ?

Ces questions tournent dans ma tête pendant une bonne semaine, sans y trouver de réponse. Marie dissimule son angoisse derrière son acidité habituelle, Léonie ne quitte presque plus sa chambre et Victor est redevenu l'adolescent immature que j'ai toujours connu, ou cru connaître, bien qu'il m'évite ouvertement.

J'aimerais pouvoir parler à quelqu'un d'extérieur, quelqu'un qui ne connaisse pas Léonie, qui me dise quoi faire. Mais je ne peux m'adresser à personne. Même Octave, qui était si pressé de me faire avouer ma prétendue culpabilité, ne remarque pas que mes sourires sont faux et mes « ça va » peu sincères.

Les jours s'égrènent ainsi, voyant l'angoisse me submerger lentement. Le délai que m'a accordé Léonie expire le 9 juin. La date se rapproche et je n'ai toujours pas la moindre idée de ce que je dois lui dire.

Il me reste un mois et trois semaines lorsque Victor, un samedi matin, m'adresse à nouveau la parole.

« Théo, faut qu'on parle, lâche-t-il après le petit déjeuner, assis face à son bureau.

— On dirait que tu comptes rompre avec moi, tenté-je d'esquiver, je ne savais pas qu'on était en couple.

— N'essaie pas de faire de l'humour, ça te réussit pas. »

Son immaturité n'est-elle qu'un masque ? Si c'est le cas, il est efficace. La gravité dans ses yeux bruns, bien plus doux que ceux de sa mère, me surprend comme elle m'a surpris il y a deux mois.

« On doit parler de ta sœur », ajoute-t-il calmement.

Je hoche la tête. Jamais ce « ta » ne m'a semblé aussi distant. Victor cherche vraiment à s'éloigner de Léonie, à la réduire à ma sœur, mon problème. Ma faute ?

« Qu'est-ce qu'elle a ? réponds-je, conscient que ma question mériterait une place parmi les plus triviales du siècle.

— Je vous ai entendus, toi et ma mère. Mercredi, il y a dix jours.

— On t'a jamais appris à ne pas écouter aux portes ? protesté-je par automatisme.

— T'arrêtes d'éviter la question ?

— Je n'essaie pas... »

Il hausse les sourcils d'un air dubitatif.

« Ça se voit, Théo.

— Si tu le dis, lui accordé-je. Mais pourquoi tu m'en parles maintenant ?

— Je voulais... bah, je sais pas, mettre ça au clair. Pis je cherchais le bon moment, admet-il en haussant les épaules, mais y'a pas de bon moment.

— Donc tu nous as espionnés ? »

Il opine, semblant chercher ses mots.

« J'ai toujours trouvé Léonie bizarre, m'explique-t-il finalement. Enfin, je la trouve bizarre depuis... le truc avec votre sœur. »

Ses mots m'arrachent un sursaut. Il hoche à nouveau la tête, sans que je comprenne pourquoi.

« C'est normal, objecté-je d'une voix tremblante, on... on est forcément "bizarre" après ça.

Les larmes de la lionneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant