8+ Coup de massue

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Je ne sais pas ce qui prend à Ryujin de me coller après son retour tardif, le corps plein de sueur, comme si elle avait affronté un troll. Son attention à mon encontre est disproportionnée face à la simple amitié que nous entretenons. Je suis étonnée de la voir insister pour me raconter les pires anecdotes sur Sangoo, réveillant ma suspicion sur sa soudaine sollicitude. Mais le temps n'évolue pas en ma faveur. Les heures qui passent me remémorent que mon avenir est lié à un contrat dont cinq points sont non négociables. J'ignore les appels à répétition provenant de Daegot-Myeon pour fixer le numéro de celui dans lequel se glissent trois 6. Mes ongles disparaissent à une vitesse terrifiante et mes pieds ne cessent de battre ce sol en rythme. Yuna a lâché l'affaire en m'inondant d'huiles essentielles pour me détendre. Quant à Yeji, elle épluche depuis la première heure les petites annonces, soufflant sa rage lorsqu'on lui communique le prix des loyers par téléphone. 

— C'est une honte ! On devrait faire une pancarte et manifester silencieusement pour que ce problème soit connu de tous. Quel étudiant pourrait verser 2 000 000 de wons par mois ? 
— Elle pourrait se mettre sur la liste d'attente du second semestre du campus universitaire mais Leah n'a pas de quoi régler tous les loyers comme cela est exigé, désespère Yuna. 

La demande en matière de logement domine tellement l'offre que les critères pour accéder au Graal dépassent l'entendement. Les ghesthouse, petits hôtels à étudiants, sont des plans intéressants dans les villes de moindre ampleur mais Séoul met à mal ce marché. Je commence donc à réaliser qu'il me faudra peut-être accepter l'idée de vivre dans un goshiwon, petite pièce de 3m2, optimisée pour une vie d'études avec une espace de partage entre les résidents comme la cuisine ou la machine à laver. Cette triste réalité achève mes espoirs de pouvoir tenir pendant ce premier semestre de cours sans tomber dans la dépression. 

— S'il te plait, ne fais pas cette tête-là. On te cachera ici le temps qu'il le faudra, gémit Yuna. 

A nouveau, mon téléphone retentit, me rappelant que mes rêves de voyage s'éloignent. Je profite de l'absence de Ryujin pour décrocher et ne pas redouter qu'elle n'entende des éléments compromettants. Mes amies parviennent peu à peu à me transmettre leurs craintes et méfiances à l'encontre de cette quatrième personne. 

— Allô papa...
— Et bien, en voilà des manières de faire. Ça vit à Séoul et ça ne répond plus à son père ? Le petit chat a-t-il été échaudé par les études ? rigole la voix à l'autre bout du combiné. 

Mon père n'est pas un homme méchant. Brut de décoffrage et boudeur la plupart du temps, il possède un caractère difficile à supporter qui fait de ma mère un modèle en matière de patience. Je tiens certainement de lui dans mon incapacité à arrondir les angles, mais une chose est sûre, nous nous aimons. Cependant, l'amour ne signifie pas céder à tous les caprices et c'est une notion qu'il m'a apprise depuis mon plus jeune âge. 

— Et bien non, figure-toi. Je suis si occupée à m'installer que je n'ai pas eu une seconde pour répondre à tes messages. 
— Les cours n'ont même pas commencé que tu es déjà débordée, ça promet, se moque-t-il. 
— J'en connais un qui devrait m'encourager au lieu de me tacler. Tu imagines bien que si j'abandonne les cours et ne peux pas voyager, je viendrai squatter ton canapé ? 
— Dans tes rêves, jeune Leah. Je t'enverrai à l'armée. 

Mes yeux font le grand huit à l'écoute de cette expression qu'il m'a transmise et que j'utilise un peu trop souvent à mon goût. Je soupire face à ses espoirs. Je deviendrais la fierté de ma famille si je parvenais à faire de grandes études, mais aurais toute l'admiration de mon père si j'entrais dans l'armée. Or, les règles et contraintes ne sont pas faites pour moi. 

— On peut oublier la marche militaire. J'ai confirmé mon inscription et mon sac est prêt pour la rentrée. Point numéro un validé. 
— J'attends de voir tes notes, jeune fille. Et comment va le courageux Lee Minho ?
— Oh... euh... il va bien. 
— Passe-le-moi au téléphone. Je vais lui donner quelques tuyaux pour te supporter au quotidien. 

Mon regard tombe sur Yeji et Yuna à la recherche de celle qui pourrait simuler une voix grave et commence notre jeu favori, le mime. La tête pensante du trio se relève pour former un poing avec sa main et la place au niveau de son entrejambe. Yuna applaudit l'idée en silence et se met à genoux devant elle en désignant le membre avec intérêt. 

— Je ne peux pas... Il est en train de... 

Se faire sucer ? 
Ma tête s'incline afin de savoir si je dois réellement prononcer cette action, au risque d'inquiéter mon père et qu'il débarque à la capitale. Il verrait tout de suite que je ne suis pas chez le vrai Lee Minho et que notre deal s'arrêterait avant même que je ne commence mes cours demain. J'analyse un peu mieux la gestuelle de Yeji qui oscille du bassin tandis que Yuna fait mine d'être aveuglée par ce qu'elle reçoit. Il ne me reste plus que deux possibilités. A défaut de l'asperger de sperme...

— Il urine ! 

La validation du mime est confirmée par des danses de la joie et satisfait mon interlocuteur. 

— Ravi de l'apprendre. Tu lui diras que nous pensons à lui très fort. 
— Et moi ? 
— Tu as déjà pris trop de mon temps. Allez, mon feuilleton commence. N'oublie pas de te trouver un travail et de te lancer dans une passion, à défaut de te trouver un mari. 
— Un petit copain, papa. Ne mets pas la charrue avant les bœufs. Je te tiens au courant de toutes mes brillantes avancées et murmure bien à l'oreille de mes billets que maman revient très vite. 

Nous ne prenons pas la peine de nous déclarer notre amour mutuel tandis que mon père met fin à la conversation. Commence alors la lente approche de l'épée de Damoclès que je baladais au-dessus de ma tête. L'heure est grave et plus j'hésiterai, plus la chute sera douloureuse. Je dois étouffer ma fierté pour contacter celui qui représente mon unique opportunité masculine. 

— Je n'ai pas le choix...
— Je n'arrive pas à croire que tu vas accepter son offre. C'était quand même très sale, me répond Yeji. 
— On ira lui donner un coup de main pour nettoyer avant qu'elle n'attrape pas de mycoses, me soutient Yuna. 
— Il faut que tu arrives à faire baisser le loyer car il sait pertinemment que c'est de l'escroquerie. Peut-être que si tu le voyais dans un lieu neutre, tu aurais plus d'ascendant ? me convainc Yeji. 
— Un endroit comme le Cheese Café ?
— Parfait ! Envoie-lui un message. Demain, en fin d'après-midi après les cours. On essaiera de te rejoindre au plus vite, m'encourage Yuna. Et on fait quoi pour Ryujin ? 
— Pas la peine de la tenir informée vu son utilité, lance Yeji. 

Sa rancœur inexpliquée pour sa colocataire la repousse loin de notre plan de bataille. Peut-être lui reproche-t-elle indirectement la place qu'elle occupe dans cette chambre et que nous imaginions me revenir ? Il faudra que j'essaie de tempérer les choses car avec ce deal, je n'aurais jamais pu occuper le troisième lit. Mon père a étouffé tout espoir avec l'élaboration de ses règles. De toute façon, cela n'aurait été que de courte durée puisque je ne m'imaginais pas rester longtemps en ce lieu. L'envie de découvrir d'autres horizons m'appelle et je soupire d'avance à l'idée de perdre du temps de mon existence sur une chaise pendant les mois à venir. 
Mes doigts pianotent sur le téléphone jusqu'à ce que j'obtienne une confirmation de Sangoo. Grâce à ce sacrifice, je fais un premier pas vers une colocation officielle. 

Le Coloc Idéal [Sous Contrat d'Edition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant