7.La Morte

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Je sais déjà où je me trouve. Je n'avais pas vraiment de chances d'y échapper. Le monde des morts.

Il me semble impossible à décrire : j'y vois tout et rien à la fois. Je ne sais pas ce que je ressens. Je sais juste que je suis morte.

Plus j'essaie de comprendre, plus mon environnement devient flou. Je me demande si c'est ça, mon sort : passer l'éternité à tenter de percer les mystères de ce royaume.

Mais alors quelque chose change dans le décors : devant moi apparaît une étrange vision. Je m'observe sur l'autoroute, le corps cloué au sol dans un angle douteux. Autour, les voitures sont arrêtées, des lumières bleues et rouges clignotent. Alors je comprends : ce sont les images en direct de la terre.

La vision disparaît quelques secondes, puis je me vois dans la voiture, roulant bien plus vite qu'il ne le faudrait. Comme synchronisée avec ce corps venu du passé, je sens l'ivresse de l'alcool qui coule dans mes veines, mes rires et mes hoquets qui me grattent la gorge et la bouteille dans ma main droite. Mon amie tient la boîte de vitesses et personne ne commande le volant.

La chaleur du vin rouge me chauffe les joues, je sens mon pied enfoncer un peu plus la pédale d'accélérateur. Quand nous percutons le camion, mon cœur s'accélère, l'impuissance règne et une douleur atroce s'écrase sur moi. La vision s'arrête, je reste seule face à la mort.

Et je sens qu'elle observe, elle aussi. Elle jauge chacun des actes de ma vie, en commençant par la fin.

Le Jugement Dernier commence, chaque passage important de ma vie défile, bon ou mauvais, et je dois dire qu'on y trouve plus de mauvais que de bon.

Je constate avec horreur toutes les fois où l'alcool m'a amené aux pires bassesses, toutes les fois où j'ai injustement reproché à mon père le départ de ma mère, toutes les fois où la violence a pris le dessus.

A chaque fois, un sentiment imposé de culpabilité vient alourdir mon cœur, fardeau que mon âme est condamnée à supporter, et la mort se délecte des horreurs de ma vie. Je sais que les portes du Repos Eternel resteront fermées pour moi, que je finirai en bas à supporter le poids de mes pêchers pour l'éternité.

La dernière vision se fige, j'observe les yeux rajeunis qui étaient autrefois les miens, ils brillent d'une rage égoïste qui m'accable d'une charge supplémentaire.

La mort derrière moi se délecte, son regard me brûle la nuque et me force à baisser la tête. Elle me domine de toute sa hauteur, je sens le poids de sa sentence m'accabler encore plus que la culpabilité dans mon cœur.

Mais, alors que je m'attends à ce qu'elle me condamne à aller aux enfers, sa sombre voie prononce ces mots :

"Soldat de la mort, va accomplir ta mission."

Le vide total enveloppe mon âme ; avant même que je puisse comprendre quoi que ce soit le monde des morts disparaît et je tombe dans la lumière et l'horreur.

Mes sens reviennent un à un, m'agressant d'abord les oreilles, puis les narines. Un goût de fer infâme me colle à la langue, des lumières bleues et rouges transpercent mes paupières.

Puis je sens ma peau, qui me gratte. Le sang qui coule à plusieurs endroits. Mes membres qui hurlent de douleur. Mes os brisés qui déchirent mes muscles.

La douleur me force à crier, le râle qui s'échappe du fond de ma gorge fait dégouliner le sang sur mon menton écorché.

Je voudrais mourir, mourir parce que la souffrance dépasse l'entendement, chaque particule de mon corps semble s'écraser sur elle-même, et un atroce besoin de bouger me brouille l'esprit.

Je sens mon bras gauche, l'épaule déboitée, et quand je le bouge, mes articulations craquent et m'arrachent un cri, la douleur se répercute jusque dans mon coeur, et la nécessité de se relever s'amplifie.

Je parvient miraculeusement à me tenir sur mes pieds, dans cette position mes os sont comme des aiguilles qui s'enfonce profondément dans ma chair.

Le regard embrouillé par la douleur, je parviens à deviner les personnes devant moi, qui se tiennent droite, tétanisées, ou qui fuient en hurlant.

Ma vue s'éclaircit, sur le visage des gens je lis l'horreur et le dégoût à la vue de ce cadavre vivant que je suis devenue. Leurs émotions, je les ressent, et elles m'attirent. J'ai besoin de m'en délecter, de m'empiffrer de leurs visages pour les vivre pleinement, car j'ai le sentiment que seule cette solution me permettra de ressentir autre chose que la douleur.

Je tends un doigt tordu vers eux, pour m'approcher de mon repas, pour saisir leurs expressions avant qu'elles ne s'échappent. Je fais un pas, qui ravive ma douleur et qui m'affame un peu plus.

Je vivrai dans la douleur jusqu'à ce que quelqu'un parvienne à me tuer.

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