Premier dimanche de juillet, le bel été transperce de sa chaleur tout le paysage de Provence, du ciel à sa terre, tous ses hommes, de leur peau à leur cœur. Elle immobilise le temps, change les mouvements en statue de sel, colle les gens chez eux. Plus rien ni personne ne bouge sous son lourd pouvoir...seuls quelques touristes étrangers en quête de souffrance vont et viennent le front humide d'une sueur froide sur une peau brûlée.
_ Qu'est-ce que je fous dans ce pays pourri ! Il n'y a rien à voir, rien à faire. Tout est désert et je ne vois personne. Je crève de chaud. Je bois dix litres d'eau par jour et j'en perds vingt. Je crois que je vais crever ici. On pourra même faire de ma peau un manteau de cuir tellement elle est tannée par le soleil. Les gens d'ici l'enverront aux copains restés qui s'éclatent aux quatre coins du monde. Ah ! Ils se sont bien foutus de moi en me conseillant de passer quelques jours en Provence ! Comme ils doivent rire...mais c'est de ma faute après tout, je n'aurais pas dû les écouter encore moins venir dans ce maudit pays.
Toutes ces mauvaises idées tournent dans la tête du jeune homme alors qu'il gare sa voiture sous l'auvent du parking du Château provençal qu'il va visiter sur les conseils de ses amis.
_ La lumière, les paysages originaux des tableaux de Van Gogh... Tu parles.
Il hésite avant de quitter l'habitacle climatisé de la voiture. Il se motive en soufflant un bon coup. A l'ouverture de la portière, la chaleur l'enserre de ses tenailles. La transpiration quasi instantanée plaque son bermudas en jean et son tee shirt à rayures noires contre son corps musclé.
_ Quelle horreur je suis tout trempé. Je me sens tout dégueulasse. Allez motivé ! Je prends quelques photos histoire que je montre aux copains que je me régale comme ça en plus ils me foutront la paix. De toute façon, je ne reste pas longtemps dans ce trou à rat. Après, je me taille à Paris et à moi la belle vie.
Gonflé à bloc pour attaquer sa rapide visite, il se dégonfle en quelques pas sous l'impact assourdissant des chants des cigales qui s'en donnent à cœur joie.
_ Et ce bruit lancinant qui ne s'arête jamais. Ca me prend la tête. Saleté de région ! pense t-il alors qu'il met ses doigts dans les oreilles, parade inefficace contre les mélodies stridentes.
_ Plus jamais je ne moquerais de quelqu'un qui chante faux.
Il gravit l'escalier menant au petit château provençal. Il jette rapidement un coup d'œil sur les façades de vielles pierres, les jardins d'oliviers et de lavandes, prend quelques clichés.
_ Mais c'est tout petit. Il n'y a pas grand-chose à voir. Tant mieux j'y resterais moins longtemps.
Il passe à grand pas devant la roseraie sans vraiment y prêter attention, longe le petit étang pour continuer vers la pinède et les collines. Seule l'ombre lui importe à cet instant. Il reste donc, à se promener dans les sentiers de la propriété en quête d'une illusoire fraîcheur. Le chant hypnotique opère alors, sa foulée ralentit, sa mauvaise humeur devient flânerie, sa visite s'alanguit. Dans une trouée, entre les vignes, il s'assoit au pied d'un pin pour un face à face silencieux avec les Alpilles brillantes au soleil, impassibles à la chaleur, parfumées de ses mille senteurs de garrigue glissant doucement dans une sieste paisible.
Mais le coquin de soleil fait tourner l'ombre et le voilà de nouveau baigné de chaleur, transpirant à grosses gouttes, le gosier sec et irrité. Sa tête qui est encore embuée de sommeil et son corps qui est tout endolori des cailloux de la colline et des aiguilles de pin l'empêchent d'aller aussi vite qu'il le voudrait. Son pas mal assuré l'oblige à tout regarder, le petit étang avec ses cygnes et ses canards, la roseraie gansée de pimpantes couleurs, les personnes...