Mon amie, j'ai cédé au Roi et à sa volonté toute puissante. Que pouvais-je faire d'autre ? Nous sommes tous esclaves de sa volonté. Ces mots te paraîtront cruels, difficiles à entendre, toi qui n'as que les yeux de l'amour pour lui. C'est pour cela qu'il m'est difficile de t'écrire, de répondre à tes mots qui semblent receler de tant de haines pour mon épouse et n'ont jamais remis en question l'implication de mon frère dans mon malheur.
J'aime mon frère, je l'ai toujours aimé, Louis m'a toujours protégé et s'il n'a pas toujours montré cet amour et respect qu'il a pour moi, je sais qu'au fond de lui-même, il ne me veut de mal. Pourtant, ses actions tendent à prouver le contraire. Ces derniers mois, il a fallu me faire violence pour ne pas rompre avec lui et partir en quelque pays qui m'accepterait en réfugié. J'ai le cœur si lourd, je suis si las de combattre sans avoir l'espoir que les choses ne changeront.
Même si le Chevalier me revient, je serais toujours prisonnier des stratégies politiques de mon frère, je devrais continuer à prétendre ce mariage heureux alors que chaque jour passé en la compagnie d'Henriette est un supplice autant pour elle que pour moi. Je dois t'avouer que j'anticipe le voyage en Angleterre avec autant d'inquiétude que d'impatience. Car passer une minute de plus seul en sa compagnie m'est insupportable.
Quand nous sommes partis à Villers-Cotterêts j'ai cru que j'allais finir par l'assassiner, l'étouffer de rage dans son sommeil, l'empoisonner durant ses repas, et je crois bien que ça la tentait de me pourfendre avec l'une des épées décorant la salle d'arme. Nous nous détestons tant que rien ne pourrait plus sauver ce mariage qui a été une longue agonie, une terrible tragédie. Toi seule peux me comprendre, toi seule as l'honnêteté de reconnaître l'échec de ton mariage et de voir celui du mien.
Nous avons toujours été proche toi et moi. Une fois devenus adultes, nous avons fait perdurer notre amitié, continuant à partager nos secrets et nos confidences. C'est vers toi que j'ai pu me tourner quand il y a eu la crise avec De Guiche, quand elle me tourmentais avec ses amants et ses aventures, ses maux imaginaires qui ont fini par n'avoir plus rien d'imaginaire. Aussi quand Henriette t'a rejeté, j'ai été le premier à te soutenir, à l'empêcher de te chasser, à te trouver une place auprès de la Reine. Si j'avais su que cela t'amènerait à être la maîtresse de mon frère quelques années plus tard, l'aurais-je fait ?
Probablement pas. Tu me connais, je suis jaloux, jaloux à en mourir. Je l'ai toujours été de mon frère, qui avait tout quand je n'avais rien. Cela a commencé dès le berceau. Mère l'a toujours adoré. Oh je sais bien qu'elle m'a plus cajolé, plus embrassé qu'elle ne l'a fait avec Louis, et je sais qu'il me jalouse en cela et de tout ce temps que j'ai pu passé sur la fin avec elle. Mais quand elle avait ce sourire fier, c'était lui qui en était la cause, quand elle se battait comme une lionne contre la fronde c'était pour lui. Elle est morte pour lui, elle s'est épuisée à la tâche pour lui donner une France prospère et en paix.
Je le jalouse tant. Comme tous les frères, il est vrai, mais avec nous deux cela prend toujours des proportions dantesques ! Même pour des bricoles, pour t'avoir ravi à moi.
Je sais qu'on ne contrôle son cœur, et je suis heureux que tu aies enfin trouvé l'amour, tu le mérites tant à mes yeux, et je sais que ce bonheur ton époux te le refusera toujours. Mais toutefois, je lui en veux de me priver de mon amie, car je sais que dorénavant, ton cœur t'empêchera d'être tout à ma cause et que lorsque je me plaindrai de lui, tu ne pourras faire autre chose que prendre sa défense. Oh je sais bien que tu te bas encore pour moi, je ne doute pas une seule seconde de ta bonne foi.
Mais tu as raison, je me défie de toi. Ton coeur lui appartient, nous n'y pouvons rien. Tu l'aimes et il t'aime en retour. Quel genre d'ami serais-je pour te demander de couper tout lien avec lui ? Je ne peux, ne veux faire pareille chose. Plus encore, je ne veux pas te placer en une situation délicate où tu devrais choisir à qui donner ta loyauté, à ton ami d'enfance ou à ton amour. Même si cela me brise le cœur, je crois que nous devrions en rester là, toi et moi. Pardonne-moi, ma tendre amie, ma meilleure amie. Je ne puis plus me confier à toi comme je le faisais, je ne puis continuer à parler de mon frère comme je le faisais auprès de toi. Je ne veux nuire à cet amour qui t'apporte tant de joie.
Tu as mérité d'être heureuse. Prie s'il te plaît pour moi, que je le sois aussi, un jour.
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A l'ombre du Soleil
Fiksi SejarahRencontré sur le champs de bataille, le Chevalier de Lorraine a rapidement gagné le coeur de Monsieur, Philippe d'Orléans, le frère de Louis XIV. Mais cet amant insolent, indomptable et passionnant dérange à la cour, particulièrement son épouse jalo...