1 - GABRIEL

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Un samedi d'août :

« Dans la vie, il y a ceux à qui tout sourit.

Puis il y a des gens comme nous, comme la troupe... Des gens pour qui la vie a merdé et pour qui se réveiller tous les matins en faisant ce constat finit par devenir une habitude.

Quand la vie n'est pas de notre côté, ça dure toute notre existence. Il est inutile d'espérer quoi que ce soit d'elle parce que nous sommes les dindons de la farce les gars. Et nous le serons pour toujours. C'est ainsi, faut l'accepter.

Il faut vivre avec et baiser cette salope du mieux que l'on peut. »

C'est ce que dit toujours Victor. Certains diront qu'il est fataliste. Mais c'est facile à dire, quand on ne connaît rien à l'enfer que certaines personnes vivent. C'est facile et superficiel de juger sans connaître. Victor lui, il nous comprend. Parce que comme nous, il doit affronter cette chienne de vie. Il n'est pas seulement mon ami, c'est également mon mentor, celui sur qui je pourrais compter, mon frère de cœur comme on aime tant le dire.

Après un soupir las, je donne un dernier coup d'œil derrière moi. C'est bon, il n'y a personne. À l'abri grâce au mur, je suis enfin libéré du tyran. Depuis le temps que j'attends cet instant !

Je sors mon paquet de clopes et cherche mon briquet dans la poche arrière de mon jean. Je coince ensuite ma cigarette entre mes lèvres et approche mon feu de cette dernière. C'est dingue comment passer une heure sans fumer peut paraître insurmontable ! J'ai eu l'impression que cela faisait des heures que je n'en avais pas grillé une. Je commençais à sentir la tension dans mes muscles, je n'étais plus apte à travailler, j'étais tel un dépendant en manque.

Parfois, il m'arrive de penser à mes parents. Dans ces moments-là, je me dis qu'ils seraient déçus et tristes de me voir me bousiller les poumons ainsi. Puis je me rappelle qu'ils ne sont désormais plus là et que j'en ai rien à foutre de ma vie. Je compte seulement rester vivant au moins jusqu'à ce que mon petit frère atteigne la majorité et soit en mesure de subvenir à ses besoins financiers.

— Fais confiance à ces morveux et voilà ce que t'y gagnes !

Après avoir roulé des yeux, je tourne la tête.

À quelques mètres de moi, mon supérieur, les bras croisés, me fixe d'un air blasé et quasiment mauvais. Il lance ensuite un soupir théâtral, avance dans ma direction puis son regard vacille entre les caisses et moi.

Comprenant que mon instant détente est fini, je range mon briquet, geste qui me vaut un nouveau tique d'impatience et de mécontentement de la part du tyran. Ce dernier secoue la tête d'un air exaspéré.

— Tu es là pour bosser ou pour glander Bruges ?

Sans lâcher ses yeux qui me fusillent, à mon tour les bras croisés, je ne réponds rien. Peu importe ce que je dirais, ça ne lui ira jamais. Puis je n'ai pas envie d'utiliser inutilement ma salive, surtout pour un mec comme lui.

Mon supérieur soulève la caisse qu'il a amenée avec lui et me regarde de travers. Avec ses bras dénués de muscles, il semble galérer. La petite grimace qui lui échappe le prouve. En tout cas, il peut se gratter pour que j'aille l'aider. Il a voulu prendre cette caisse, il se démerde maintenant !

Je m'autorise à souffler une fois qu'il est parti. À cause de ce connard, je n'ai pas eu ma dose de nicotine et je risque d'être encore moins productif. Si seulement cet idiot m'avait laissé profiter de ma pause, que je devais prendre déjà une heure et demie plus tôt. Et surtout, si seulement je n'avais pas besoin de ce fric...

Tout en silence, je m'approche de la dernière caisse. Ma frange que j'ai coiffée en mèche ce matin me tombe dans les yeux. Les bras pris, je souffle sur mes cheveux, malheureusement ces derniers retombent aussitôt, rendant ma vue plus floue que jamais. J'aurais dû mettre du gel. J'aurais été tranquille au moins.

Les écorchés - Tome 1 : Protection (55/70 chapitres)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant