Chapitre 2

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— Bon alors, tu vas nous dire ce que tu lui as dit à ton professeur ? S'acharne Léana depuis la pause du midi.

— Rien, je lui ai juste dit que j'étais contente de le revoir, il ne m'a même pas reconnue.

— En même temps, vu comment elle a changé, ça ne m'étonne pas, ajoute Hippolyte.

Je tends mon meilleur doit d'honneur à mon débile d'ami. Pourtant il n'a pas tort, j'ai perdu beaucoup de poids depuis le lycée. À cause de lui. Et à cause de la prépa. J'en ai oublié de manger et vivre loin de chez moi, en faisant mes propres courses, m'a permis de mieux me contrôler face aux cochonneries que j'engouffrais au lycée. Parfois, mon ancien corps me manque. L'hiver surtout, il fait plus froid. Mais d'autres fois je me dis que c'est une bonne chose. Au moins je n'ai pas à faire face aux critiques, ni aux regards malsains. Et puis, au moins on ne peut plus rien me reprocher.

— T'exagères, elle a la même tête toute mignonne.

Je lui tire la langue à son tour. Ma colocataire ne m'a pas connue avant notre arrivée à l'école. Elle a vu des photos de nous et de mon groupe d'amis, mais ça s'arrête là.

— Je devrais aller le voir moi aussi, peut-être qu'il se souvient de moi, contrairement à toi, me nargue Hippolyte.

Qu'est-ce qu'il est énervant. Même si je me lavais le cerveau à la javel ce gars ne sortirait pas de ma mémoire, bien sûr que Mancini s'en souvient.

— Il m'a dit qu'il t'avait aussi oublié.

Il fronce les sourcils, avant de s'illuminer.

— Oh, mais tu parles de moi en plus.

J'échange un regard exaspéré avec mon amie puis fait signe à Hippolyte de s'en aller. Il ne conteste pas et en profite pour rejoindre ses amis qui jouent au babyfoot dans le foyer.
En les regardant tous, je trouve qu'ils vont bien ensemble. Une belle brochette de débiles à qui on passe tout parce qu'ils ont la chance d'être beaux.

— C'est moi où il a demandé au prof ce que 'acqua' veut dire ? M'intime Léana.

Je hoche la tête et nous explosons de rire. À croire qu'il fait exprès d'ignorer nos dix années d'italien pour nous amuser. Il faut dire que ça fonctionne.

— T'as quoi comme cours cette aprem ?

Je vérifie sur mon téléphone.
--- Je finis à dix-sept heures aujourd'hui.
Comme d'habitude, elle finit avant moi, ce qui lui vaut mes plaintes habituelles. En plus, on a pris sa voiture aujourd'hui, donc je vais devoir rentrer seule. Heureusement que nous vivons dans le centre ville, je pourrai rentrer à pieds si j'en ai le courage.

Je profiterai de ma longue pause pour écrire un peu. Mes révisions sont au point mort et mes devoirs pas encore commencés mais je les laisse de côté pour me mettre dans ce que j'aime vraiment. Léana lève les yeux quand je lui dis que je vais à la bibliothèque. Pour une accro au travail comme elle, ça lui fait physiquement mal de ne pas me voir travailler. Tant pis pour elle, mes études sont importantes, mais du moment que je ne redouble pas, tout se ira bien.

Une fois dans la bibliothèque, je m'installe à la même table que d'habitude, la plus proche du mur, autant pour me sentir à l'abri que pour m'assurer que personne ne vienne regarder ce que je fais. J'ouvre mon ordinateur, mets mon casque et me lance.

Les mots flottent dans l'air aussi vite qu'ils s'apposent sur la page blanche numérique. Les touches subissent la violence de mon imagination à mesure que la scène devient de plus en plus intense. Entre le professeur et l'élève, la tension n'a jamais été aussi présente. Il faut croire que mon cours de ce matin m'a inspirée.
Le professeur est un peu plus brun, ses yeux un peu plus foncés, et sa peau plus réelle. Andrea se dessine dans les traits de l'homme qui embrasse une élève qui en redemande alors que ses camarades attendent de l'autre côté de la porte.

Mon souffle se fait court, avec le rythme des phrases qui se déhanchent sur les mouvements de leurs deux corps. L'un embrasse l'autre, l'autre embrase l'un. Dans cette lutte de pouvoir, ce n'est pas le plus âgé qui gagne.

Avec Andrea c'est possible, j'y ai réfléchit dans tous les sens. Debout, assise, allongée, cet homme me convient dans toutes les positions. Mon instinct ne m'a pas trompée d'ailleurs, il est devenu encore plus beau, tout en ayant gardé les attributs qui m'ont le plus charmée. Je mets à jour mes descriptions de lui. Il ne faudrait pas que j'oublie la nouvelle barbe qui a remplacé sa peau nue.

Mon téléphone sonne. Il est dix-sept heures.

Je prends tout mon temps pour ranger mes affaires. À l'heure qu'il est, il doit encore être en train de parler avec Mme Garcia, la directrice du département de langue. Je crois qu'ils sont amis, en tout cas, ils sont plus proches que des collègues, mais pas de quoi m'inquiéter, Mme Garcia est lesbienne. Enfin, elle n'est pas vraiment out mais il se trouve que j'ai mes moyens pour trouver les informations sensibles.

Je sors lentement du campus, si mes calculs sont exacts, il devrait sortir du parking de l'école dans trois, deux, un...

La voiture noire s'élance sur la même route que moi. Au lieu d'aller à pleine vitesse, il ralentit et me laisse monter dans la voiture.

— On peut parler maintenant ?

— Pas ici, lui dis-je.

***

Bien énigmatique cette petite...

On en pense quoi ? 

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