Chapitre Quatorze - Réminiscences

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J'avais passé le week-end retranchée au campus, soit en compagnie de Yeleen ou de mes amis sur place, Chani, Hyun ou Alexy. Depuis les deux derniers jours, Nathaniel m'escortait soit à mon travail, ou pour faire des courses. Il tenait les portes ouvertes et portait les sacs. Même lundi, il était venu à 6 heures 45 dans le froid pour me conduire au Cosy Bear Café et il était resté là, à me tenir compagnie jusqu'à ce que Hyun ou Clémence ne vienne me rejoindre. Je n'aimais pas beaucoup être dépendante et vulnérable de cette façon dès que je bougeais le petit doigt mais, rapidement, la présence de Nathaniel me réconforta et m'égaya.

Ce matin, toutefois, il était en retard. Je me mis en route puisque, de toute façon, j'allais le croiser sur la route en me rendant au café. Je traversai alors la rue et me dirigeai vers la ruelle. Au loin, la simple vue de sa silhouette et de ses cheveux blonds me firent sourire.

— Tu ne m'as pas attendu, me gronda-t-il gentiment.
— Je n'ai pas envie d'être en retard, j'ai plus peur de ma patronne que de Julius.

Nathaniel ricana et marcha à mes côtés.

— J'ai lu le webtoon que tu m'as recommandé hier soir, le relançai-je. J'ai beaucoup aimé mais je me suis endormie devant. Je ne savais pas que tu lisais ça.
— J'ai un peu moins de temps de lire des polars.
— Ton activité en parallèle te prend autant de temps ? Je pensais que, généralement, tu glandais en attendant le client.

Il gloussa mais ne renchérit pas. Il n'aimait pas parler des Argonautes, peut-être cherchait-il à se protéger ou peut-être à me protéger de cet univers ?

— Tu comptes faire carrière là-dedans ?
— Tu comptes me poser beaucoup de questions comme ça ? renchérit-il, agacé. Je n'ai pas envie d'en parler Milla et encore moins avec toi.

Devant la terrasse, il me regardait de sa hauteur et je voyais bien qu'il se sentait coincé et je crus un instant qu'il allait ajouter quelque chose mais il changea de sujet.

— À quelle heure je reviens te chercher ?
— Pas besoin, je ferme avec Hyun et on rentre au campus après.
— OK, n'hésite pas.

Je hochai la tête et regardai Nathaniel partir de là où il était venu. Le café était bondé et nous fûmes assez de trois pour servir tous les clients. Il faisait frais mais le ciel était bleu et le soleil chauffait encore les fumeurs qui prenaient leur commande en terrasse. Malgré l'agitation, mes pensées déviaient toujours vers Nathaniel. Je ne l'avais entrevu que quelques minutes aujourd'hui alors que j'avais passé des heures avec lui depuis les deux derniers jours. Ces pensées me troublaient. À quoi rimaient-elles ? J'avais envie d'être avec lui mais pourquoi ? Avais-je envie de me rapprocher ? À quel point ? Un ami ? Un amant ? J'étais attirée vers lui comme un aimant et grâce à Julius on passait plus de temps ensemble. Est-ce que ça allait durer ? Ressentait-il la même attraction ?

L'après-midi passa rapidement et la densité de clients diminua drastiquement lorsque la météo évolua vers une averse. Clémence avait quitté le café et je me retrouvai seule avec Hyun. Mon collègue souffla et frotta son visage, visiblement fatigué.

— Tu as l'air crevé, tu veux prendre une pause ? lui proposai-je.
— Non, mais je veux bien un peu de temps pour réviser, tu peux t'occuper un peu des clients ?

Je balayai la salle vide avec un sourire amusé et je hochai la tête.

— Va dans le bureau de Clémence, ça sera mieux et je t'appelle si j'ai besoin de toi.

Hyun s'éclipsa et, moi-même, je pensais aux partiels qui approchaient. Je n'étais pas non plus en avance dans mes révisions et je culpabilisai à vouloir passer plus de temps avec Nathaniel qu'à bosser. J'avais l'impression de me retrouver au lycée lorsque le délégué me plaisait. Or, il n'était plus délégué et je n'étais plus aussi naïve.

Un peu avant 18 heures, une silhouette passa devant la vitrine et Alexy entra dans la café, d'un air malheureux, renforcé par ses cheveux mouillés et plats sur sa tête. Je savais que le chocolat viennois lui ferait retrouver le sourire alors, à peine assis au comptoir, je lui servis la tasse devant lui.

— Qu'est-ce qui se passe ? lui demandai-je, soucieuse. Un problème avec Morgan ?
— Non, non... J'ai fait tomber mon portable dans la douche, m'avoua-t-il plus bas que terre. Il est censé être étanche, mon cul ! 

La colère laissa place à l'auto-apitoiement et après quelques souvenirs touchants de feu son dernier téléphone, il sortit de sa poche son ancêtre.

— Oh la vache, c'est ton ancien du lycée !

C'était un téléphone au clavier azerty, la mode à l'époque mais qui était bien loin des smartphones actuels. C'était Rosalya qui s'en était le mieux sortie au lycée avec l'un des premiers modèles totalement tactiles. Je me souvins que nous nous amusions à écrire des textos dessus, les touches trop serrées et l'écran trop sensible. De mon côté, j'avais récupéré le vieux téléphone à clapet de ma mère.

— Je pensais même pas le retrouver, je croyais que ma mère l'avait balancé !
— Heureusement que tu as ça, comment tu ferais pour survivre sans envoyer des dizaines de textos à ton Morgan... le taquinai-je.
— Tu as raison, mais j'ai pas Insta ou Twitter sur ça ! 

Il désigna l'appareil d'un air de dégoût qui disparut rapidement lorsqu'il eut l'idée d'ouvrir la galerie de photos. Elles étaient de mauvaises qualité mais il avait le mérite d'en avoir. Triées dans l'ordre chronologique, de la plus ancienne au plus récente, Alexy décida de sélectionner la première photo. C'était Armin, en pyjama, s'extasiant devant une console.

— C'était pour notre anniversaire, nos 16 ans, justifia-t-il. J'avais eu ce téléphone et Armin la DS. 

La majorité des premiers clichés concernaient son frère dans des situations peu probables. A l'époque, j'aurais payé une fortune pour les voir et taquiner le geek avec. Il me manquait et j'eus le cœur serré.

— Dis-moi que ton frère revient pour les vacances de Noël ! le suppliai-je.
— Je lui ai justement demandé quand je lui ai parlé, il m'a dit de te dire qu'il ne viendrait pas, justement parce que tu es de retour en ville !

La réponse d'Armin me chatouilla le coeur mais son sourire suggérait que c'était une taquinerie comme il en faisait tant et que, bien sûr, il sera présent dans deux semaines pour les fêtes de fin d'année.

Le défilement de photos se poursuivit sur le téléphone d'Alexy, toujours à l'époque du lycée, de Rosalya, Iris et Kim, de la salle de chimie lorsqu'Armin et Ambre avaient provoqué un nuage de fumée toxique, le premier concert de Castiel, déjà chanteur émérite avec son charisme qu'on commençait à entrevoir à l'époque.

— Tu penses qu'il nous en voudrait si on diffusait ça sur Insta ? s'exclama Alexy en se mordant la lèvre inférieure, tenté.
— Tu risques de le faire rager mais ça attirerait sûrement encore plus les groupies qui l'adulent...
— T'as raison.

A chaque photo, nous avions un commentaire, une anecdote, un fou rire. Le café était vide à l'exception de nous deux et Hyun dans le bureau et je me sentais heureuse de replonger dans le passé. Il y avait aussi des photos de la course d'orientation, du spectacle de fin d'année, les sourires des filles, des clichés des dessins de Violette, les virées shopping avec Rosalya, la soirée chez les uns et les autres. Nous poursuivîmes notre inspection des photos mais cette fois, personne ne parla. C'était des photos de Nathaniel et de moi. Alexy passa rapidement sur certaines d'entre elles mais il y en avait toujours une autre qui s'affichait et au bout d'un moment, mon ami dut sentir mon humeur s'assombrir.

— Pourquoi il y a tant de photos de nous ? demandai-je à Alexy, à voix basse, nostalgique.
— Parce que tu étais heureuse...  Bref, c'était des photos du passé ça  ! minimisa-t-il. 

Il rangea discrètement son téléphone dans la poche de laquelle il venait de le sortir. Il ne voulait sûrement pas faire ressurgir des sentiments douloureux. Mais j'étais perturbée par les photos et la remarque d'Alexy. Les iris violets de l'étudiant me sondèrent alors que mon regard s'était perdu dans la contemplation de la vitrine. C'était comme si les images que je venais de voir provenaient d'une autre vie, d'une autre Milla. C'était un autre temps.

Même après, lorsque Hyun et moi rentrâmes sur le campus, mes pensées restaient accaparées par Nathaniel, l'ancien, le nouveau. Est-ce que le délégué avait laissé la place au trafiquant ? Était-il comme mort ? Empoisonné par le vice, l'excitation du danger, la rentabilité du trafic ?
Dans mon lit, mon pc sur les genoux et mes cours sous le nez, mon téléphone vibra sur un message de Nathaniel.

« Ç'a été ton aprèm ? Bien rentrée ? »
« Oui, nickel, merci. »
« Tu as pu finir le webtoon ? » renchérit-il.
« Ah non, pas encore, je révise »
« OK, je ne te dérange pas plus. A ce week-end. »

Samedi, mon service du matin au café... Encore deux jours à attendre pour le revoir ? Pas sûre d'en être capable...

« Demain, j'ai prévu d'aller à la salle de sport dans l'après-midi, tu serais dispo ? » relançai-je après quelques minutes de tergiversations.
« Avec plaisir. À 17 heures ? »
« Ok, super. A demain. »
« A demain :) »

Je retrouvais le sourire et mon coeur s'allégea. Je me prenais sans doute beaucoup trop la tête à devoir faire la part des choses entre le garçon d'avant et celui d'aujourd'hui. J'étais tentée de pousser mes intrigues amoureuses avec n'importe lequel et peut-être arriverais-je à définir le Nathaniel qui me plaisait.

**

Je ne savais pas pourquoi j'avais particulièrement prêté attention à ma tenue et ma mise en beauté alors que, dans pas longtemps, j'allais me retrouver transpirante, courant sur un tapis, mon maquillage ravagé et ma queue de cheval ébouriffée.
Peu importe, j'étais comme une ado lorsque je vis Nathaniel m'attendre de l'autre côté de la rue, en face du campus. Il était adossé à un lampadaire, son pied contre le poteau, les mains dans les poches de son jogging et le regard sombre qui courait sur les alentours, comme s'il s'attendait toujours au pire.
Bien que son visage était fermé, je le trouvais beau, sombre mais beau, et d'autant plus lorsque ses iris dorés se posèrent sur moi et que ses traits se détendirent.
Flattée, je m'approchai de lui, un sourire mutin aux lèvres

— On y va ?
— C'est parti.

Il ramassa un sac à ses pieds et on se dirigea vers la salle de Kim.

Je n'étais jamais venue aussi tard et le lieu était calme. À l'exception de deux hommes sur les machines et Moussa la montagne fantasmatique de Kim qui partait, la grande salle était vide.

— À 17 heures, Kim donne des cours de cardiotraining dans l'annexe.
— Ah, je vois, elle est victime de son succès.

Généralement, je venais aussi pour la voir et je compris que je risquais fort de me retrouvais seule à seul avec Nathaniel, sans l'intervention de la coach.
Je disparus dans les vestiaires pour me changer. Nathaniel n'eut que l'embarras du choix pour nous trouver une place sur les bancs qui encerclaient la salle. Lorsque je le rejoignis, le dealer me tournait le dos et, d'une grâce absolument sexy, il retira son sweat en le passant par la tête. Il se retrouvait en débardeur, laissant la possibilité d'admirer des bras musclés et des épaules robustes.

— Par quoi tu veux commencer ? demanda-t-il.
— Généralement, je fais trente minutes de presse, une centaine de tractions et je finis avec du développer-coucher, mentis-je avec un sourire carnassier.
— Je vois.

Nathaniel se moqua de ma plaisanterie, bien que je l'avais dite avec assurance. J'étais presque vexée qu'il ne me prenne pas au sérieux

— Tu veux aller sur le ring ? Pour que je t'apprenne quelques prises ?

Je fis une moue en haussant les sourcils. C'était brillant, peu subtil mais brillant. J'étais toutefois tentée de jouer le jeu.

— C'est une tactique pour que tu prennes le dessus ? le taquinai-je en montant sur le ring.
— Pas du tout, c'est purement loyal, tu dois savoir te défendre, nia-t-il faussement. On ne sait jamais qui peut venir t'attaquer.

La remarque était totalement adressée à l'intention de Julius mais c'était aussi une tentative pour profiter de moi, à n'en pas douter.
Il me rejoignit sur le ring en passant par les cordes. Je me sentais aussi à l'aise là que sur le tapis rouge du festival de Cannes.

— Bon, je vais y aller doucement, alors pas besoin de gants, OK ? m'avertit-il.
— Tu vis dangereusement.

Nathaniel se plaça devant moi, il me dominait totalement et mes yeux ne pouvaient se détacher des siens. Il sentait bon, d'une odeur plus musquée que mes souvenirs me suggéraient. Je me sentis très idiote lorsque, en une seconde, je me retrouvais sur le dos, Nathaniel au-dessus de moi, sans comprendre comment nous nous étions retrouvés dans cette position.

— Concentre-toi un peu, se moqua-t-il.
— C'est pas juste ! Tu ne m'as pas prévenue, me plaignis-je.
— C'est ça...

D'une prise ferme, il m'aida à me relever.

— Bon, on recommence.

Nathaniel était un bon professeur et l'ambiance légère devint plus studieuse alors qu'il enchaînait les conseils de défense.

— Allez, on essaie une dernière fois, m'encouragea-t-il. Je vais t'attaquer et tu vas transformer mon élan pour me faire basculer.

Concentrée, je hochai la tête et attendis le coup qu'il prenait plaisir à faire attendre. Puis, il lança son poing vers ma figure. Je l'esquivai, saisis son poignet et, avec un grognement féroce, je le fis basculer de toutes mes forces. Il y a eu un "boom" et le ring trembla lorsque Nathaniel tomba lourdement. Il lâcha un hoquet, le souffle coupé. Son visage exprima la surprise durant une fraction de seconde avant qu'un sourire ne l'agrandisse.

— Bien joué !

Il me tendit sa main pour que je l'aide mais, au lieu de se relever, il tira mon bras, je le rejoignis au sol et il se retrouva au-dessus de moi, encore plus amusé.

— J'ai une réputation à préserver, tu m'excuseras.

Je ne répondis pas, je ne pouvais m'empêcher de le dévorer du regard sans même porter attention à ce qu'il disait. Le sourire du vainqueur s'atténua alors que lui aussi le sentait : le courant électrique qui semblait faire battre nos coeurs à l 'unisson. Je frissonnai violemment alors que, du bout des doigts, il dégageait une mèche de cheveux de mon visage. Je posai ma main sur la sienne comme pour la retenir, pour poursuivre son contact. Je déglutis, le regard de Nathaniel glissa sur ma bouche, ses lèvres remuèrent, je caressai son bras.

Puis, la porte de l'annexe s'ouvrit en fracas. Une vingtaine de clients sortit. Des copines soufflaient d'avoir tant transpiré, une autre buvait à une bouteille, une dernière s'épongeait le front. Cette interruption brutale rompit le lien qui était en train de se former entre Nathaniel et moi. La musique qui résonnait s'arrêta et Kim débarqua dans la grande salle, presque aussi fraîche que ses clientes étaient épuisées. Entre temps, nous étions descendus du ring et avions rejoint nos affaires, aussi distraits que nous étions proches une minute plus tôt.

— Salut vous deux, ça va ?
— Ouais, ça va...
— Nickel...

La coach eut une moue suspecte mais passa outre et elle discuta plus légèrement. En repartant, j'aurais bien eu besoin de prendre une douche froide pour remettre mes idées en place, mais je ne voulais pas faire attendre Nathaniel, ni imaginer qu'il m'y rejoindrait. Nous saluâmes Kim et nous quittâmes la salle, toujours plongés dans ce que nous venions de vivre.

— Est-ce que tu voudrais boire un verre demain soir avec moi ? questionna enfin Nathaniel qui semblait ne plus tenir.
— Oh... Eh bien, OK ! acceptai-je, les zygomatiques douloureux de sourire. C'est genre... un rencard ?
— Si c'est ce que tu veux...
— Je ne sais pas, tu voudrais que ce soit le cas ?
— Pourquoi pas... Si c'est c'est ce que tu veux... conclut-il avec un sourire adolescent.

Il me raccompagna au campus et, un peu idiote, je lui fis un signe de main pour le saluer alors que je rêvais de déposer un baiser reconnaissant sur sa joue.
Dans ma chambre, j'ignorai Yeleen qui me jeta un regard de travers. Sûrement était-ce le sourire béat étirant mes levres qui poussa sa curiosité à demander.

— Ça va ? questionna-t-elle.
— Ben oui, pourquoi ?
— Tu as l'air... amoureuse...

Je m'écroulai sur le lit, en étoile. Je me sentais légère... Trop légère.

— J'en sais rien...
**

Nathaniel avançait, étrangement serein, une première depuis bien longtemps. Ces quelques jours en compagnie de Milla l'avaient allégé, comme une lumière dans un monde assombri depuis qu'elle était partie. Il avait eu quelques étincelles au cours de ses dernières années, mais ce n'était que des relations brèves et inintéressantes. Milla était différente des autres parce qu'elle ne le considérait pas seulement par ce qu'il était, un dealer. Elle le connaissait bien plus que ça et, avec elle, il avait l'impression d'être plus qu'un voyou. Toutefois, le doute rongeait un recoin de son esprit. Et si elle le quittait à nouveau ? Si elle le repoussait pour ce qu'il était ?

Il arriva dans l'immeuble de Chris, il était 16 heures et son collègue l'avait prié de le rejoindre et ça l'embêtait. Il avait rendez-vos avec Milla ce soir pour boire un verre, un premier rencard – le premier parmi d'autres ?
Il n'en savait rien mais ça lui plaisait.
Lorsqu'il avait revu Milla trois mois plus tôt, il avait été sidéré de la croiser et il n'avait même pas cherché à reprendre contact avec elle, trop aigri d'avoir souffert, et ce même s'il connaissait depuis longtemps les raisons de son départ. Et pourtant, le destin les avait réunis à nouveau et la rancune qu'il avait éprouvée contre la jeune femme concernant Julius s'était envolée lorsqu'il avait compris la véritable nature de son ex.
Il jouait au chevalier servant, lui...
Il ricana en grimpant les escaliers qui menaient au dernier étage.
Chris l'accueillit d'un check et l'invita à entrer.

— J'ai besoin que tu dépannes pour deux heures ce soir. Fab peut pas venir.
— J'ai un truc de prévu ce soir...
— Tu seras libéré à 21 heures, elle ne devrait pas trop râler, si ? se moqua Chris en comprenant bien qu'une fille devait être derrière un rendez-vous aussi important.

Nathaniel l'ignora et retint sa rancœur. Deux heures, ce n'était pas grand chose mais si Milla le voyait dealer juste avant leur rendez vous ?
Non, leur stand se tenait à la sortie de la ville, dans une station essence automatique, elle ne risquait pas de passer par là.

Il s'y rendit avec son collègue et attendirent à deux entre deux portiques d'essence, les clients n'avaient même pas besoin de sortir de leur voiture, Chris distribuait et Nathaniel récupérait l'argent d'une main gantée et en moins de 20 secondes, la transaction était effectuée. Chaque revendeur touchait 5% de leur vente, c'était le cas de Nathaniel, 10% pour Chris depuis qu'il était devenu le bras droit du chef des Argonautes. Au début, l'argent était vite rentré et Nathaniel s'était rapidement retrouvé avec beaucoup de liquide mais peu importait ce qu'il envisageait de faire avec, il sentait ses mains salies par le revenu du trafic. Après avoir économisé pour Ambre et pour lui en cas de besoin, il distribuait le reste de l'argent à des refuges pour animaux. Les dons allégeaient un peu sa conscience.

Nathaniel serra la main d'un client, récupéra les billets roulés qu'il fourra avec les trois autres. Son regard balaya les alentours et il remarqua une silhouette un peu plus loin qui faisait mine de regonfler les pneus de sa voiture, or Nathaniel savait que la machine ne fonctionnait plus. De plus, le visage du type lui était familier, des cheveux noirs, des lunettes à écailles et un blouson kaki. Il mit de longues secondes à le reconnaître et quand, enfin, il réussit à le remettre, il paniqua.

— Putain, tire-toi ! Y'a les flics ! cria-t-il à Chris.

Celui-ci se redressa et fouilla du regard la station. Au même instant, trois hommes sortirent d'une voiture plus loin et trois autres qui étaient dissimulés se mirent à courir dans leur direction.

Heureusement, pour chaque stand, Nathaniel avait prévu une cachette pour stocker en une fraction de seconde tout ce qui était compromettant.
Pour le stand de la station service il y avait les réserves de sable, en cas d'incendie. Alors qu'ils étaient normalement scellés, un seul ne l'était pas. Il sortit les rouleaux de billets et les enterra dans la caisse de sable qu'il referma. Il courut ensuite pour s'enfuir. Pendant ce temps, le lieutenant Thomas le rattrapa sur sa droite et Nathaniel lui jeta un regard au-dessus de l'épaule, sans voir une bordure contre laquelle il trébucha. Il tomba lourdement, s'égratigna les mains. Il n'eut pas le temps de se redresser que le flic était sur lui et l'immobilisa au sol.

— Laisse-toi faire ! lui cria-t-il. Tu es en état d'arrestation.

**

Je m'étais préparée puis changée plusieurs fois. Yeleen assistait à mes profondes réflexions vestimentaires devant mon armoire, amusée de ce spectacle.

— C'est juste un verre tu sais, me taquina-t-elle.
— Je sais, me lamentai-je.
— Mets ton nouveau jean et ton pull rouge, conseilla ma coloc.
— C'est pas trop décolleté ?
— C'est un rencard quand même.
— T'as raison.

Résolue, je finis de m'habiller et appliquai un rouge à lèvres que j'utilisais rarement de peur de me retrouver avec du maquillage sur les dents. Je me sentais à l'aise et assez assurée, au moins pour boire un verre. Je n'avais plus reçu de message de Nathaniel depuis ce matin pour fixer l'horaire à 21 heures 30. Comme à notre habitude, je patientai aux grilles du campus.

Cinq minutes de retard, pas grave, ça pouvait arrivait.
Dix minutes, il me faisait patienter, c'était un jeu ? Ça ne me faisait pas rire.
Quinze minutes, bon, il fait froid quand même, râlai-je en tapant le sol de mes pieds en emmitouflant mon cou dans ma doudoune.
Je n'avais pas reçu de message, j'essayai de l'appeler, il ne répondit pas.
Vingt-cinq minute, j'étais triste, un peu en colère de ne pas avoir de retour, ou qu'il ne m'ait pas prévenu. Ou bien devais-je m'inquiéter ? Est-ce qu'il lui était arrivé quelque chose ? Un problème avec son réseau ?

Bredouille, déçue, soucieuse, blessée, je rentrai à la résidence. Yeleen n'avait pas décroché de son pc mais à la place des révisions, elle regardait un film en grignotant un paquet de chips.
Surprise, elle m'adressa un regard désolé.

— Merde, il n'est pas venu ?

Je secouai la tete.

— Je regarde un Chaplin, tu veux venir ?

Elle se décala d'un côté de son lit, sur lequel je m'assis après avoir retiré manteau et chaussures. Sans un mot de plus, Yeleen me tendit son paquet de chips en j'en piquai une, désabusée.

[Terminé][Amour Sucré][Nathaniel]TraumaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant