Prologue

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Salut, je suis Tâchat et non Crachats, comme aiment en rigoler ceux qui ont de l’humour. 
Tâchat Croque-mort, mais ça, peu le savent. 

J’ai un problème, certes, on a tous un problème. 
Mais disons que j’ai un atome de problème. 

Je suis Tâchat, une tâche comme voulaient me le rappeler père et mère. 
Enfin, c’est bien ce que j’en ai déduit avec un nom pareil.
Vous ne trouvez pas ? 

Je suis jumelle. 
Vous me diriez : « Mais Tâchat, où est le problème, jeune fille ? » 

Et si je vous disais que je suis l’ombre, 
l’ombre de la famille Croque-mort ? Hum… 

Intéressé(e) ?

Bien.

Nous, au XIXᵉ siècle, 
nous sommes à Waldorf, la plus riche ville d’Amérique. 

Alors, mettons en place la scène. Imaginez-vous : la famille Croque-mort, l’une des familles  et non des moindres  prestigieuses de l’État, avoir un fils : Samuel, le bonheur. 
Puis une fille : Samantha, le bonheur. 
Si seulement…

Mais imaginez-vous cette famille avoir un autre bébé dont on ignorait l’existence. 
Comment Madame Valentina Croque-mort aurait-elle pu se douter qu’une heure après avoir donné naissance à la belle Samantha, elle devrait continuer à endurer la douleur, encore, pousser ! encore et pousser? 

Pour voir apparaître une horreur : 
Tâchat.

Pour ainsi dire qu’entre ma sœur et moi, deux continents et quatre océans nous séparaient. 

Curieusement, j’avais la peau légèrement foncée, comme ces personnes d’Afrique qu’on emmenait en Amérique pour exploiter les mines  pour reprendre les mots de mon père. 
Si on n’avait été jumelles, Père aurait répudié Mère pour infidélité. 

Il faut le comprendre : avoir des jumelles, c’est déjà agaçant, mais qui plus est, 
avoir une fille parfaite sur tous les termes, et une fille colorée… 
Celle qui a failli tuer sa mère à l’accouchement, 
née sans un seul cheveu sur la tête, moche, mais surtout atteinte d’un trouble mental, 
une fille qui n’a pas poussé son premier cricomme tous les bébés, 
une fille alexithymique, appelée aussi « silence de l’émotion ». 

Alors, je suis devenue l’ombre de la famille. 
La fille qui est née, mais n’a jamais existé. 
Celle qui reste dans le bâtiment des domestiques 
et ne doit jamais franchir le seuil de ce bâtiment. 

Tâchat ne parle pas à des inconnus.
 
Tâchat ne dit à personne de qui tu es la fille.

Tâchat ne l’appelle pas mère : c’est Madame.

Tâchat ne l’appelle pas père : c’est Monsieur.

Tâchat ne dit pas que ce sont tes frères.

Tâchat ne…

Tâchat…

Voilà comment j’ai vécu. 
J’ai très vite compris que je ne faisais vraiment pas partie de la famille Croque-mort. 

C’est sûrement le peu d’humanité qui restait à mes parents qui ont fait que j’ai eu la chance de ne pas être abandonnée à un orphelinat, ou même vendue, pire, jetée dans une poubelle, mais de rester avec les esclaves du manoir. 

Peu d’humanité, ou peur que le passé les rattrape, que quelqu’un découvre mon existence et ce qu’il m’aurait fait, et qu’alors leur réputation s’envole ?

Car à Waldorf, rien ne vaut une bonne réputation. 
Puis, comme le dit Père  non, enfin, Monsieur, *on n’est jamais assez protégé de l’ennemi que quand on le garde près de soi*. 

Je m’appelle Tâchat et tu entres dans ma vie. 

Mais tu pourrais être tachée si tu emportes tes sentiments pour le voyage. 
Alors, laisse-les devant la porte et entre. Tu les récupéreras à la fin du séjour. 
Mais si tu persistes à les emporter, à tes risques et périls, 
ne compte pas sur moi pour compatir.

Même si je le voulais ce qui n’est pas le cas, 
je ne le pourrais même pas.  Après tout, je ne ressens aucune émotion.

Je suis Tâchat et non ! Je ne te permets pas de m’appeler Crachats !
 
Je suis Tâchat… et voilà mon histoire. 

Quand l'Amour Devient  Fardeau : L'ombre Où les histoires vivent. Découvrez maintenant