― Quelle tragédie pour une vie sans défense, sans résistance face à un despotique pouvoir qui l'écrase avec insistance. Pauvre conscience, malheureux esprit, camarades de cellule en ce corps geôlier...
― Encore en train de jouer le martyr sur la croix...
― A rester les bras croisés, tu réfléchis trop !
― Ne bâille pas tant aux corneilles, bon à rien !
Se moque de lui, une nuée de corbeaux aux sombres plumeaux, à la jactance aigre, à l'appétit goulu.
― A l'aide ! Les envahisseurs, les envahisseurs ! Des gens ! A l'aide !
Il crie dans sa langue incompréhensible et inaudible tandis que les prédateurs se ruent sur les semailles de blé.
― Pourquoi brailles-tu ?
― Espères-tu qu'un humain t'entende ?
― Un humain n'entend que ce qui lui donne du profit sinon il reste sourd. C'est connu !
Chaque corbeau parle le bec plein de graines, se gavant jusqu'à l'occlusion du gésier.
― Mon Maître ! Au secours, mon Maître !
― Mais il a la berlue ou quoi !
― Ton Maître ne viendra pas.
― Mon Maître est mon égal ! Il viendra !
― Pourquoi crois-tu qu'il t'a planté là !
― Pour exécuter le sale boulot à sa place !
― Non ! Je suis son égal par conséquent, nous partageons le labeur. D'un côté, il laboure et sème son champ, de l'autre, je surveille, en bon vigile, le bon déroulement des opérations.
― En cas d'alerte, tu cries et il accourt.
Se tordent de rire les corbeaux qui s'étouffent dans leur festin.
― Tu n'as vraiment rien compris ! A toi, te reviens le devoir de nous chasser.
― Mais comment ? Raides comme des piquets, mes membres paralysent mes mouvements.
Tout le troupeau de volatiles, en chœur, lui répond :
― En nous faisant peur !
Il lance, alors, un gros soupir. Il se tait, se concentrant dans un silence pesant. Les autres attendent, en trépignant d'impatience. De toutes ses forces, il pousse, soudain un râle menu et tremblant, à peine perceptible, à l'effet d'un fétu de paille. Les corbeaux, nullement impressionnés, s'esclaffent. Ils gouaillent et piaffent de tout leur soûl. Ivres de plaisanterie et de rigolade, ils ne voient pas venir le fermier, son fusil à la main. Quand il leur tire dessus, ils s'envolent en désordre, affaiblis, l'aile peu sûre, encore engourdie par le fou-rire. Furieux, il continue vers lui. Arrivé près de lui, il l'empoigne par le cou et le déracine sans ménagement. Sous le choc, toutes ses articulations craquent et toute sa défroque démodée, rapiécée, usée et mal assortie, s'échappe.
― Il m'étrangle. Pourquoi cette barbarie ? Je l'ai pourtant prévenu. En quoi, ai-je fait défaut ?
― Maudite poupée, vaurienne ! Quel désastre ! Tout mon travail foutu en l'air ! Allez, ouste, du balai !l'emporte t-il, sous le bras. Passés les arbres fruitiers, lui vient l'idée de l'expédier dans un des cerisiers. Alors, d'un geste rageur, le fermier l'envoie. Et comme il atterrit, il reste.
― A toi de jouer ! La prochaine fois, c'est le feu !
La mise en place, quelque peu brutale, lui casse un bras, lui coince le pieu dans le vide, lui tire la chemise, lui dénude le bas du ventre, le borgne, lui arrache une partie de sa chevelure, lui déchire la poche de son pantalon, offrant son postérieur à l'air et son chapeau tombe à terre.