Fatiguée par toute cette aventure, je décide de regagner ma chambre. Avec ma mère, nous avons été logées dans la partie la plus haute de la maison. Il y a encore plusieurs départements au-dessus de notre tête, ce qui prouve à quel point la forteresse est immense. Un peu comme une ville intérieure, sans ciel.
Mais dans ma chambre, sur la mezzanine, j'ai le luxe d'une fenêtre ! Oui une vraie fenêtre qui donne sur l'immensité effrayante de la mer. De là, j'aperçois les côtes de Calca où mon pauvre peuple subit l'esclavage. Je peux passer des heures entières à regarder les vagues s'éclater contre les rochers tranchants de l'île. C'est magnifique, cette mélodie mugissante ne me lassera jamais.
En bas, maman s'affaire à la réparation d'une robe et d'une parure. Elle fredonne le même air d'opéra. Un soir, nous étions toutes deux parvenues à nous payer une place pour entrer dans ce magnifique théâtre, quelques départements plus haut. Je n'ai jamais écouté de si belle musique. Rien à voir avec les chansons et les instruments vulgaires des tavernes.
Je retire mes petits souliers plats ainsi que mon corset et respire enfin. Je repense à cet homme marqué. Le pauvre, je ne sais pas comment il peut supporter une telle servitude. Après, j'ai l'impression qu'il a un certain succès ici si Méléria est sa maîtresse.
— Püpe, ma chérie ?
— Quoi Maman ?
— Tu veux bien aller chercher de la lavande chez l'apothicaire ? Je ne m'en sors pas avec toutes ces mites !
Je me redresse d'un coup sur ma couchette : l'apothicaire ? Sa boutique se situe contre le restaurant du bas. Ce qui veut dire que je vais probablement croiser Tampia ! Oh mon dieu ! Je me lève en catastrophe, change de chaussures pour des petites bottines à talons et remets mon corset en le serrant davantage. Il faut que je refasse mon maquillage, aussi ! Vous êtes sûrement en train de me prendre pour une grande folle mais c'est plus fort que moi. Ce besoin d'être remarquée et acceptée. J'en viens même à changer mes dessous. Je crois que c'est un peu maladif mais je pense surtout que c'est une maladie très féminine. Si seulement le pauvre garçon savait comment moi je me mettais en quatre pour lui. Peut-être que je ne le verrai pas, en plus, ou qu'il ne me remarquera pas le moins du monde. Il a sans doute d'autres filles avec qui passer du temps... Rhaaa, faut que j'arrête de réfléchir et de prévoir les pires possibilités. Je m'assois devant ma coiffeuse et me refais le visage.
C'est vrai qu'en soit, je ne suis pas laide. Même plutôt jolie. Je me pince la joue, hésitant à suivre les conseils sulfureux de mes amies. J'opte donc pour une jupe plus courte qui révèle mes cuisses mais ne me résous pas à changer de corsage. Bon, je vais couper la poire en deux et resserrer les lacets de ma chemise, comme ça je n'aurais pas à montrer ma peau mais je révèlerai davantage mes courbes.
— Püpe ? Tout va bien ?
— Je descends tout de suite, Maman.
Je dévale les échelons et attrape le panier avec la liste de course. Ma mère écarquille les yeux devant mon changement de style.
— Püpe...
— Mmh ?
— Que comptes-tu faire ?
— Acheter de la lavande ?
Je regarde la liste :
— Et aussi des oignons, du curcuma, du gingembre et...
— Je vais surtout te faire acheter du grémil.
— Heu... Pourquoi ?
Elle me tend son escarcelle avant de me répondre :
— Je n'ai pas vraiment envie qu'on te fasse un enfant.
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Journal d'une Soubrette en Goguette
FantasyÉlevée par sa mère sur l'île des sirènes, Püpe est bercée depuis sa naissance par la mélodie sulfureuse d'un environnement consumériste et décadent. Bien qu'elle appartienne à la race la moins crédible de toute la Dimension, la jeune gnome refuse d...