"Ne crains plus...ne crains plus la chaleur du soleil."
***
Un soleil de plomb. Une chaleur insupportable. Les rues s'étaient transformées en poêle à frire, les maisons en four. On pouvait voir l'eau s'évaporer des arbres, l'air brouiller le sol. A chaque pas la semelle de nos chaussures semblait adhérer un peu plus au bitume. Je marchais lentement, je sentais ma peau brûler sous le soleil, mes doigts gondoler sous la chaleur humide caractéristique des étés de chez nous. Toute cette chaleur tombait sur moi, semblait me tirer en arrière, m'empêcher d'avancer et à chaque fois que je sentais son souffle brulant sur ma nuque je serrais la mâchoire, crispais mes poings avant de les enfoncer dans mes poches. J'avais marché longtemps. Très longtemps. La langue collée au palais par la soif mais surtout par l'agacement. Il ne m'avait pas attendu pour rentrer. Oui, le temps était irrespirable. Oui, il finissait une heure plus tôt que moi. Mais on rentrait toujours ensemble. Les gars de sa classe avaient du lui proposer une partie de basket et il n'avait pas résisté. Ou alors il avait suivi une fille qui lui avait proposé un verre. Cette idée m'avait irrité d'avantage et j'avais accéléré le pas, avide de retrouver la fraicheur du hall de mon immeuble. Je voyais de loin le petit coin sombre de l'entrée entouré d'un halo aveuglant de lumière et de poussière. Mais quand j'ai été plus près, j'ai vu David, assis sur les marches, les coudes sur ses genoux, son regard rivé sur le sol. Il avait le visage complètement défoncé. Le sang qui avait coulé de son arcade sourcilière avait séché en croutes épaisses le long de sa tempe et de sa mâchoire, il commençait déjà à avoir un œil au beurre noir. Sa lèvre inférieure était fendue et gonflée. La plaie encore fraiche semblait grésiller sous le soleil. Ses bras que son t-shirt sans manches ne cachait pas étaient couverts de bleus. Personne ne s'étonnait plus de le voir dans cet état. Il était connu dans le voisinage pour avoir le sang chaud. Toujours à réagir aux provocations comme un con. Sauf que cette fois ses jointures à lui étaient intactes. Il a du entendre mes pas parce que tout d'un coup il a relevé la tête et s'est levé, en prenant soin d'éviter mon regard. J'ai serré encore plus les poings, partagé entre l'inquiétude et l'exaspération. Mais ce jour là je n'avais eu le temps de rien dire et pourtant on s'est engueulé. Il ne voulait plus qu'on se voit. Je lui ai demandé pourquoi. Il en avait marre de trainer avec moi. Qu'il fallait que je grandisse. Que je laisse tomber toutes ces habitudes qu'on avait prises quand on était gosse de rentrer ensemble, de jouer aux échecs à l'ombre des arbres.
J'ai crié. Pas lui. Il est resté très calme. Sa voix très dure. Puis il était parti.
Oui, j'avais détesté cette journée. Je détestais l'été. Ce soleil de plomb. Et cette chaleur, cette insupportable chaleur.
J'ouvre les yeux.
Je suis dans mon lit, couché sur le dos, la couverture à mes pieds. J'ai chaud, beaucoup trop chaud. Je passe une main sur mon visage et me redresse difficilement. Mon réveil affiche 6h02. Un soupir s'échappe de mes lèvres. Je pourrais dormir encore une heure. Alors je cache ma tête sous mon oreiller pour me rendormir en vain. Cela faisait longtemps que je n'en avais plus rêvé.
La canicule qui dure depuis deux semaines m'empêche de fermer l'œil, me ramène sans cesse à ce jour là.
Comme je hais l'été. Je me lève, descends les escaliers à pas de loup pour ne pas réveiller ma petite sœur et rentre dans la cuisine.
Il y règne une bonne odeur de pain grillé. Ma mère mange son petit déjeuner en écoutant la radio. Elle ne m'a pas vu. Je me sers un verre de jus d'orange.
-Tu pourrais au moins dire bonjour à ta vieille mère.
Je sursaute. Rectification : elle m'a vu. Et je le savais. Mais malgré tout, je me fais avoir à chaque fois. Penchée sur son assiette, elle me scrute de ses yeux verts.
-Bonjour maman.
Là elle va me demander si je suis tombé du lit. J'en suis sûr
-Tu es tombé du lit ou quoi ? Depuis quand est-ce que tu te lèves aussi tôt ?
Bingo.
-Depuis que j'ai été échangé avec un alien pendant mon sommeil pour surveiller les humains en prévision d'une invasion imminente.
Elle me fixe avec le même regard que le gros chat de la voisine quand un être humain essaye d'attirer son attention en miaulant.
Je dépose la bouteille de jus d'orange en soupirant.
-J'ai une interro en math aujourd'hui alors je suis un peu stressé.
Je m'assieds à table et comme prévu il y a des tartines grillées, du beurre, de la confiture et des œufs. Ma mère se lève et dépose la vaisselle sale dans l'évier.
Je lève les yeux de mon assiette.
-Il va pleuvoir aujourd'hui.
Ma mère fronce les sourcils.
-Vraiment ? Mais la météo a prévu du soleil pourtant.
Je hausse les épaules.
- Prends ton parapluie, juste au cas où quand même.
-Bon si tu le dis, je prends mon parapluie alors. J'y vais, fais attention sur le chemin du retour !
-A plus tard, maman.
J'étale du beurre qui fond instantanément sur ma tartine bien chaude. Ma mère a laissé la radio allumée. Je connais bien la voix du présentateur. C'est la même chaine qu'on écoute tous les matins. « C'est l'été et il fait drôlement chaud aujourd'hui. Cela faisait très longtemps que nous n'avions pas eu de telles températures. Cet été pourrait bien figurer parmi les étés les plus chauds des 20 dernières années ! Mais courage, demain c'est déjà le week-end ! Nous sommes le vendredi 5 mai 1989 ».
Le vendredi 5 mai 1989
La veille de mon anniversaire.
Je le savais. Ça recommence.
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Demain aussi, je t'aimerai
Short StoryJonathan, dix-sept ans, un garçon calme et réservé, se rend compte en se réveillant un matin que tout se passe exactement comme la veille. Il va rapidement réaliser qu'il est condamné à revivre inlassablement la veille de son anniversaire... Déter...