Chapitre premier

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Pour moi...

La vie.

Pour elle...

la mort.

Par ma faute.

Je pleure.

Je comprends que je pleure quand je sens mes joues s'humidifier. C'est cruel. C'est horrible. On m'a toujours dit qu'elle était partie à ma naissance. Aujourd'hui, quinze ans après, j'apprends que c'est moi qui l'ai tuée. Mon père essaye de me réconforter mais je le repousse. Je monte dans ma chambre, claque la porte et la ferme à clef.

J'en veux, j'en veux à tout le monde. J'en veux à ma mère qui a été trop faible pour supporter ma naissance, j'en veux à mon père et ma famille pour m'avoir menti pendant tout ce temps, mais par dessus tout, c'est à moi que j'en veux. Je m'en veux pour ne pas avoir cherché à en savoir plus sur elle, je m'en veux pour être née, je m'en veux pour l'avoir tuée.

Mon père frappe à ma porte, comment peut-il penser que je lui ouvrirai ? Il m'a menti, soit disant pour mon bonheur. L'imbécile. Me dire la vérité aujourd'hui seulement la rend encore plus difficile à accepter. En supposant que j'arrive à l'accepter. Je lui hurle de dégager, que c'est un connard et un idiot puis continue à crier et pleurer jusqu'à ne plus avoir de voix.

Je voudrais être morte avec elle, je ne veux plus de la vie qu'elle m'a donnée. Elle. Je ne connais même pas son parfum, le son de sa voix, son chanteur préféré, sa date de naissance... Pourquoi m'a-t-elle appelée Fleur ?

Comment fait-on pour mourir ? On peut se pendre. Il faut une corde... il y en a une, mais dans la cuisine. Hors de question de quitter ma chambre et de prendre le risque de croiser mon père. Mon chargeur aurait pu faire l'affaire mais il est trop court. J'aurais envisagé de sauter par la fenêtre si je n'avais pas été au premier étage. Au mieux, je serais paralysée. Je suis prise d'une crise de fou rire. J'ai toujours mérité de mourir et quand enfin je m'en rends compte, je n'en trouve pas le moyen. Je veux partir. Mais je suis bloquée dans cette vie.

Je pleure.

Je rentre dans un état de profonde tristesse où je perds le compte des jours, tous aussi monotones les uns que les autres.

Je ne suis pas retournée au collège depuis deux semaines. Mon père a bien essayé de me convaincre d'y aller, mais contre ma haine il ne peut rien faire. Je passe mes journées à voguer d'une appli à l'autre sur mon téléphone. Les seules sorties de ma chambre que j'effectue me servent à faire mes besoins naturels.

Le soir, je peux écouter mon père qui rentre du travail, puis Cerise qui sonne à la porte et demande à mon père si elle peut monter. Il accepte et elle le fait. Au début, elle essayait de me convaincre de la laisser entrer, mais même à ma meilleure amie je refuse ce privilège. Maintenant elle se contente de s'asseoir, adossée à la porte. Elle me raconte sa journée de cours, les couples qui se forment et se déforment dans la classe, tous les ragots concernant les profs... pendant que mon père mange, seul. Dans ma journée, c'est le seul moment où je souris. Je viens m'adosser à la porte, de mon côté, et l'écoute en silence. Une fois sa salive écoulée, elle me salue et repart sans un bruit. Je ne devrais pas accepter la joie de l'écouter me parler. J'ai tué celle qui m'a mise au monde, et pourtant je connais encore le plaisir.

Tout de suite après, mon père arrive avec une assiette contenant mon dîner. Il la pose sur mon palier puis part. Une fois que je suis certaine qu'il a quitté les lieu, j'ouvre, prends l'assiette mange, puis repose mon assiette sur le palier et ferme ma porte jusqu'au lendemain. J'entends mon père monter, prendre mon assiette et redescendre. Tous les jours, depuis cette journée fatale où j'ai eu quinze ans, depuis que mon père m'a dit la vérité, c'est pareil. Parfois, mon père essaye d'engager la conversation en me déposant mon assiette, le soir. C'est peine perdue. Il m'a menti toute ma vie, est en grande partie le responsable de mon malheur et voudrait me consoler... quand comprendra-t-il que je veux qu'il me laisse tranquille ?

Je pleure encore.

- Tu verrais comme Sorocina était furax ! On était que deux à avoir plus de quinze sur vingt à son contrôle de maths ! Elle est partie sur un grand discours, comme quoi on n'aurait jamais notre brevet, que c'était n'importe quoi, que c'était incroyable et que c'était la première fois qu'elle avait des élèves aussi nullissimes. Enfin tu vois quoi. Tout ça pour bien nous donner du courage et se faire apprécier des élèves, conclut Cerise en riant. Allez, je te laisse ou mes parents vont commencer à manger sans moi. À demain !

Sur ces mots, mon amie de toujours se relève et commence à partir pour finalement retourner s'adosser à la porte.

- Tu sais... Je sais que c'est dur pour toi, je comprends, ton père m'a expliqué. Mais ce n'est pas ta faute. Tu es née, et tu étais obligée de le faire ! Et puis... n'en veux pas à ton père. Il ne voulait que ton bonheur en repoussant le moment de te dire la vérité, souffla ma meilleure amie.

Je fais alors sortir un son de ma gorge, pour la première fois depuis plusieurs semaines. On aurait pu croire que les premiers mots seraient peu forts, presque chuchotés, pourtant, c'est tout la contraire qui se passe : j'hurle.

- Mais... Cerise, comment pourrais-je ne pas en vouloir à mon père, il m'a menti toute ma vie ! S'il voulait vraiment mon bonheur, il n'avait qu'à ne pas me mettre face à la réalité. Tu dis que tu comprends alors que tu n'as même pas idée de ce qu'il m'arrive ! Quand ma mère m'a donné la vie, au lieu de pleurer ou n'importe quoi d'autre, je l'ai tuée ! J'ai tué ma mère ! Si seulement elle était vraiment partie à ma naissance, comme je l'ai toujours cru... Mais ce n'est pas le cas ! J'ai tué ma mère !

- Fleur ! C'est l'accouchement qui a tué ta mère. Pas toi.

- Désolée mais je ne vois pas la différence. Maintenant part.

Je sens qu'elle se retient de me lancer une réplique cinglante, puis l'entends partir. Je l'imagine, poings et dents serrés en train de descendre les escaliers... J'ai les larmes aux yeux, un goût acre dans la bouche. Cerise... j'ai rejeté Cerise.

Les larmes se font de plus en plus nombreuses.

Dessine-moi un SourireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant