Chapitre 1

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Le pouvoir était la seule chose qui comptait.

La seule chose qui avait un tant soit peu d'importance en ce monde. Ne pas en avoir, c'était se condamner. Ne pas en avoir, c'était laisser quelqu'un d'autre décider de son sort. C'était s'abandonner à autrui.

La plus fatale des erreurs.

Il fallait savoir prendre le dessus pour ne pas se laisser écraser. Prendre son destin en main pour ne pas se laisser dicter sa conduite. Savoir avancer ses pions de manière intelligente. Il fallait toujours être plus puissant. C'était une lutte de chaque instant. C'était cela ou mourir.

Que ce soit à la cour de Navarie ou dans la vie de tous les jours, parmi les nobles comme les hommes du peuple, il ne fallait jamais laisser de place au hasard. Ce dernier était un très mauvais juge de la destinée. Les palais étaient des nids de vipères où l'on s'empoisonnait pour un peu plus d'influence et les tripots des terriers de renards où l'on s'égorgeait pour une bourse un peu plus remplie.

Le monde était cynique, cruel, dangereux. Tout pouvait provoquer votre perte. Tout pouvait vous causer du tort. C'était un monde de prédateurs.

Si l'on voulait survivre, il fallait l'être également. Cynique, cruel et dangereux. Il fallait être un prédateur. Il fallait être puissant. Il fallait avoir le pouvoir.

Mara Meravigliosa le savait mieux que quiconque.

Derrière ses airs de grande dame et ses traits délicats, elle ne craignait rien ou presque en ce monde. Elle avait beaucoup voyagé et elle avait tant vu... Elle connaissait les hommes, leurs secrets, leurs vices, leurs espoirs...

Or, la chose la plus importante qu'elle avait retenu de tous ses voyages, c'était que s'en remettre aux dieux pour décider de son destin, quels qu'ils soient, n'était jamais une option envisageable. Les divinités étaient capricieuses, insensibles, aveugles, sourdes et muettes. On ne pouvait guère compter sur elle. On ne pouvait compter que sur soi-même.

Toute sa vie, elle avait fait en sorte de ne jamais perdre le dessus. Elle avait su avancer ses pions pour ne pas perdre la face, jouer les bonnes cartes au bon moment. Après tout, elle possédait un avantage certain : elle était aussi merveilleuse que son nom le laissait entendre. Sa beauté et ses charmes, qu'elle cultivait comme une rose éclatante, étaient de bien meilleurs armes que les épines qui se dissimulaient sous ses jupons. Nombreux étaient ceux qui s'étaient piqués en tentant de se saisir de la Meravigliosa...

Le sort s'était une fois moqué d'elle. Elle en avait payé le prix cher ! Le prix du sang...

Et elle avait fait le serment que cela n'arriverait plus jamais. Peu importe ce que cela lui coûterait.

« Encore perdu.

Freyja se retint de soupirer en voyant sa mère déposer pour une énième fois la carte gagnante sur la table entre elles. Le personnage féminin, tracé élégamment sur le papier jaunis dans des tons rouges et noirs, tenait dans ses mains un cœur humain. La dame de cœur semblait la fixer de ses prunelles vides, sombres. Le réalisme des dessins était impressionnant.

Mère et fille avait entamé leur jeu de cartes dans le début de l'après-midi, dans un petit salon du manoir. La lumière claire du soleil pénétrait par les grandes vitres, baignant les meubles recouverts de napperons en dentelles d'un éclat doux. C'était une belle journée de fin d'hiver et le printemps s'annonçait rayonnant cette année. Pourtant, loin de l'atmosphère joviale des jardins, il régnait dans ce petit salon une ambiance sérieuse. Ce n'était pas simplement un jeu. C'était une leçon qui s'y déroulait.

— Je vous jure d'avoir fait exactement comme vous me l'aviez dit, mère ! souffla la jeune fille, ses sourcils froncés conférant à son joli minois un petit air surpris.

Le Cercle Des Merveilles - I - À cœur et à sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant