3. Le Chant des Sirènes

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III.

Les ombres défilèrent à toute vitesse à travers les flots. Les vagues les faisaient serpenter partout autour d'elle, si bien qu'Ansol se persuada de n'être qu'en train d'halluciner. Le froid glacial de cette mer lui engourdissait la totalité de ses membres.

Elle était pétrifiée, incapable de remonter à la surface. Son sang ne semblait plus faire qu'un avec l'eau.

Ce n'était plus qu'une question de seconde avant que les fonds ne l'avalent complètement.

Soudain, dans ce qu'elle croyait encore n'être qu'un mirage, une silhouette enveloppa le corps d'Ansol contre le sien et elle sentit quelque chose lui brusquement lui mutiler la peau. Comme un appât jeté à la mer, on lui mordit férocement le dessus de l'épaule et Ansol usa de son dernier souffle pour crier.

Le bleu devint rouge, la douleur foudroya ses muscles, et la faible lumière au-dessus des flots disparut à tout allure sous ses yeux. On était en train de l'attirer au plus profond des abysses.

Sa chute devenue sans fin, le noir des fonds l'enveloppa pour de bon.

Un cri cependant la ramena une dernière fois à elle. D'une tonalité atrocement aigue, comme un sifflement vibrant à travers les vagues, le terrible son se transforma en hurlement collectif.

Des ondes si assourdissantes, si terrifiantes et perçantes, qu'Ansol comprit soudain d'où la peur provenait.

Ce n'était pas les mouettes. Ce n'était pas la falaise. Mais ces ombres et leurs chants médusant, et cette silhouette se dressant face à elle dans l'obscurité.

Ansol était en train de se noyer. Sur le point de perdre connaissance, son corps lourd de douleur et d'eau, elle entendit à peine ce bruissement sourd soufflé contre sa figure ; comme un murmure lancé contre sa peau.

La jeune femme ne bougeait plus. Son esprit, lui, était encore capable de se souvenir, de percevoir des derniers instants de vie, mais il lui était impossible de surpasser la mort.

Alors, la mer se mit à gronder. Des hurlements plus stridents encore que ceux précédemment entendus vinrent résonner jusqu'au plus profond de l'océan.

Les sifflements, plein d'agonie et de terreur, se mélangèrent en un brouhaha marin intense.

L'étreinte autour d'Ansol disparut d'un coup et le silence l'écrasa.

Ainsi furent les derniers moments de ce double que l'on maudissait pour son existence.


* * *


Quelque part aux pieds de la Baie d'Allin.

Les deux hommes, masqués par un linge et entièrement couvert d'une large cape noire, se tenaient débout sur la plage. L'un d'eux, les pieds dans l'eau face à l'horizon, empoignait un couteau.

— Je ne sens rien, dit-il en fixant l'étendue sombre de la mer.

Il s'était mutilé les bras. Son sang coulait abondamment le long de sa peau et se mélangeait à l'océan. Sans un bruit, il appuyait contre sa plaie et attendait.

— Patientez encore un peu, lui répondit l'autre individu, d'une voix plus mature et enrouée. Vous devez saigner, comme la créature.

L'homme blessé ferma les yeux et inspira longuement. Il tentait de sentir quelque chose de nouveau, de percevoir la moindre odeur changeante.

Il voulait entendre le cri de l'inconnu.

Mais aucune âme ne se manifesta.

Il n'y avait rien que le son des vagues s'écrasant contre la pierre de la falaise, rien que le cri des mouettes lui tournant autour, rien que la faible voix étouffée de cette silhouette gisant non loin derrière lui.

Les Mouettes aux Ailes RougesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant